IDS124 - Bonnes pratiques pour une conception frugale d'un dispositif médical
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Auteurs
Contacts
- Mickaël BOURJAC : mbourjac@ch-digne.fr
- Kévin GOUFFAUD : kevin.gouffaud@gmail.com
- Alan MESMEUR : alan.mesmeur@gmail.com
- Maëva WAXWEILER : maeva.waxweiler@sfr.fr
Citation
A rappeler pour tout usage : Mickaël BOURJAC, Kévin GOUFFAUD, Alan MESMEUR, Maëva WAXWEILER, « Bonnes pratiques pour une conception frugale d'un dispositif médical », Université de Technologie de Compiègne (France), Master Ingénierie de la Santé, Mémoire de Projet, https://travaux.master.utc.fr/, réf n° IDS124, https://doi.org/10.34746/aemm-ad45, janvier 2022, https://travaux.master.utc.fr/formations-master/ingenierie-de-la-sante/ids124/
Résumé
Le concept d’innovation frugale est de plus en plus présent dans nos vies que ça soit dans l’industrie ou dans le domaine de la santé, en raison notamment d’une prise de conscience essentielle concernant l’épuisement de certaines de nos ressources et de la nécessité d’intégrer des enjeux de développement durable.
Malgré ces aspects sociologiques, économiques et écologiques, il ne faut pas associer le principe de frugalité au modèle low-cost. En effet, la frugalité s’est avant tout innover dans le but de répondre à un besoin immédiat, en utilisant les ressources à disposition, s’inscrivant ainsi dans un environnement de contraintes qui tend à favoriser la créativité pour être un véritable levier en termes de performance.
Face à ce concept, l’outil développé permet de donner un score de frugalité d’un dispositif médical, avant ou pendant sa conception et également lors de son exploitation, en ciblant les points critiques à améliorer.
Abstract
The concept of frugal innovation is more and more important in our lives, whether in industry or in the field of health, because of an essential awareness concerning the depletion of some of our resources and the need to integrate sustainable development issues.
Despite these sociological, economic and ecological aspects, the principle of frugality should not be associated with the low-cost model. Indeed, frugality is above all about innovating in order to respond to an immediate need, using the available resources, fitting into an environment of constraints which tends to promote creativity to be a real lever in terms of performance.
Faced with this concept, the tool developed makes it possible to give a “frugality” score of a medical device, before or during its design and also during it’s using, by targeting the critical points for improvement.
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Mémoire
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PDF Interactif pour comprendre l'innovation frugale
Outil d'autodiagnostic de l'innovation frugale sur les dispositifs médicaux
Bonnes pratiques pour une conception frugale
d'un dispositif médical
Avant propos
Dans le cadre de nos études en Master 2 Ingénierie de la Santé à l’Université de Technologie de Compiègne, nous avons eu la chance d’étudier le concept de frugalité dans son ensemble et appliqué dans les dispositifs médicaux.
En effet, l’innovation frugale en santé est au cœur d’enjeux considérables tant pour les fabricants que pour les exploitants et, in fine, les patients. L’innovation frugale de dispositifs médicaux permet un plus large accès aux soins réduisant de fait, les inégalités de traitements.
C’est dans ce contexte que s’inscrit cette étude, portant sur les critères de mise en œuvre du modèle d'innovation frugale en santé. Ce mémoire d’intelligence méthodologique intervient dans un projet d’intégration.
Remerciements
Notre groupe tient à remercier l’équipe pédagogique de l’Université de Technologie de Compiègne et plus particulièrement notre suiveur Monsieur Jean-Matthieu Prot. C’est essentiellement grâce à ses conseils, critiques et retours que nous avons pu poursuivre notre projet.
Nos remerciements sont également tournés vers Monsieur Navi Radjou, surnommé dans la presse “le gourou de l'innovation frugale", auteur de plusieurs livres et articles sur l'innovation frugale qui a pris beaucoup de temps pour répondre à nos mails et à nos sollicitations.
Il est nécessaire de remercier le Pr. Armand MEKONTSO DESSAP des Hôpitaux Universitaires Henri-Mondor, Chef du Service de Médecine Intensive Réanimation, qui a pris le temps de nous recevoir dans son établissement et qui nous a insufflé une vision quelques peu différente de l'innovation frugale dans les dispositifs médicaux.
Enfin nous remercions nos camarades de promotions notamment pour leurs présences et leurs encouragements lors des présentations orales.
1. Qu'est-ce-que la frugalité ?
1.1 Définition et origine
L’innovation frugale est un mouvement éclairé de co-création de valeurs (...) Il s’agit de développer des produits et services de qualité abordables et durables qui ont un impact positif sur la société et la planète.
RADJOU, Navi. Frugal Innovation. Profile Books, 2015.
A travers les siècles, la frugalité s’est développée dans le but de répondre à un besoin immédiat, avec les ressources à disposition. On peut citer un grand nombre d'exemples, à l’instar d’Apollo 13. Durant cette mission, un réservoir d’oxygène a explosé, les membres d’équipages ont dû se réfugier dans le module lunaire non prévu pour héberger 4 astronautes et ont dû résoudre plusieurs problèmes techniques à partir d’objets limités et de ressources limitées présents dans le module [1]. Il s’agit là d’une conception frugale en prenant en considération les besoins ainsi que les ressources disponibles.
Dans le contexte de la seconde guerre mondiale, de nouveaux concepts ont émergé comme le “Do it yourself” américain, le “Système D” français et le “Controlled Commodity, 1941” anglais. Le CC41 ou le “Controlled Commodity, 1941” est un exemple concret de concept pré-frugal. Cette méthode avait pour but de rationaliser les besoins demandés pour concevoir un vêtement sans gaspillage inutile de ressources matérielles (Nombre de poches sur un manteau, nombre de boutons sur une chemise) tout en gardant une liberté esthétique. L'efficacité de cette méthode à réduire la consommation de ressources sera utilisée jusque dans les années 50 pour éviter les pénuries de l’après-guerre.
A la fin des années 50, de nouvelles idéologies apparaissent, March et Simons expliquent qu’un produit innovant peut être conçu en absence d’une R&D coûteuse, de ressources importantes comme une main d'œuvre qualifiée [2]. Dans ce cas, cette nouvelle innovation peut provenir d’innovations existantes et empruntée à d’autres secteurs d’activités.
La frugalité a eu un intérêt grandissant au cours des années 2010 [3]–[5]. Des experts ont cherché à conceptualiser le principe et la définition de l’innovation frugale. Ainsi, Navi Radjou, expert de l’innovation frugale et auteur du “Guide des bonnes pratiques”, démontre que l’industrie et l’innovation se focalisent à tort sur le “plus avec plus” et le “plus c’est gros mieux c’est” [6]. Or, nous le verrons à travers cette étude, le concept de frugalité peut se résumer de la manière suivante : Faire mieux avec moins.
Le concept de frugalité n’a en réalité pas d’origine précise car l’Homme à travers les époques, a dû réaliser des objets à partir de technologies et de ressources limitées.
Figure 1 : Evolution du frugale à l’innovation frugale [source : auteurs]
L’une des premières définitions moderne donnée au terme “innovation frugale” a été définie dans un dossier du journal The Economist : “not just a matter of exploiting cheap labour (although cheap labour helps), it is a matter of redesigning products and processes to cut out unnecessary costs” [7].
Néanmoins, d’autres définitions de l’innovation frugale existent. En effet, elle peut être associée à la reverse innovation, au concept indien jugaad innovation ou également au shanzhai innovation. D’autres définitions peuvent être utilisées comme celle de George déterminant une innovation frugale comme innovante, low-cost et avec des produits de bonnes qualités [8]. On peut également parler des modèles économiques originaires de pays en voie de développement qui peuvent être exportés pour d’autres pays. La reverse innovation peut être ainsi définie. On peut aussi retrouver dans cette définition de la frugalité, la notion de produits low cost, explicitée selon le point de vue de Ramamurti [9].
Une autre manière est de définir la frugalité est une utilisation économique des ressources pour concevoir des produits accessibles pour les personnes avec un faible revenu. La frugalité reste donc complexe à définir de par son concept récent et les autres formes d’innovations pouvant avoir une définition proche de celle de la frugalité [5].
1.2 Concept
Comme expliqué précédemment, la démarche frugale est d’utiliser les ressources à dispositions pour répondre au besoin dans un environnement de contraintes (Figure 2).
Un produit conçu de manière frugale s’appuie sur trois critères principaux (une réduction substantielle des coûts de production, une focalisation sur les fonctionnalités essentielles et une performance optimisée) [10], auxquels nous pouvons ajouter plusieurs autres critères importants que l’on décrit dans le schéma suivant :
Figure 2 : Les principes de la conception frugale [source : auteurs]
Réconcilier ce qui ne l’est plus en trouvant l’équilibre entre l’essentiel et les aspirations (Figure 3).
En effet, comme illustré, les éléments sont en opposition. Une conception frugale doit essayer de tous les appréhender sans les occulter.
Figure 3 : L’équilibre entre l’essentiel et les aspirations [source : auteurs]
Ainsi, un des principaux enjeux de l’innovation frugale est le fait de s’inscrire dans une démarche de développement durable. (voir partie 2. Enjeux)
1.3 Les catégories d'innovations
L’innovation, dans son terme général, peut se décomposer en plusieurs innovations lors de la conception d’un produit [18] (Figure 4):
- L’innovation incrémentale consiste à développer un produit à partir des technologies existantes dans un marché déjà existant. Ce concept représente la majorité des innovations actuelles. Cette idéologie pourrait se résumer par l’amélioration continue d’un produit.
- L’innovation adjacente vise à utiliser des technologies déjà existantes dans un marché pour l’appliquer à un autre marché. Par exemple, les GAFA (entreprises “stars” qui ont envahi notre quotidien) utilisent ce type d’innovations en rachetant des brevets de start-ups pour le transférer à leur propre produit ou service.
- L’innovation de rupture ou disruptive est définie par la conception d’un produit avec de nouvelles technologies, processus ou modèles commerciaux dans un marché déjà existant. Cette approche vient remettre en cause le marché en proposant une alternative aux autres technologies actuelles. L’iPhone en est un exemple en réinventant l’utilisation de la téléphonie.
- L’innovation radicale repose sur le développement d’une nouvelle technologie entraînant des changements profonds dans la société et en créant de nouveaux marchés. Cette innovation peut être illustrée par l’invention de l’aviation qui a bouleversé nos habitudes de voyages ainsi que la production industrielle.
Figure 4 : Les 4 grands types d’innovation [19]
2. La place de l'innovation frugale en santé
2.1 Le cadre et les pièges à éviter
Comme explicité précédemment, l'innovation frugale se charge d’apporter des solutions efficaces et efficientes, aux différents problèmes susceptibles d’être rencontrés par une large partie de la population en prônant une philosophie qui s’engage à utiliser un minimum de ressources possibles. En effet, le secteur des dispositifs médicaux est un secteur représentant en 2020, 90 Milliards d’euros en France d'après le SNITEM (Syndicat National de l'Énergie des Technologies Médicales), mais aussi très inégal puisque les pays à faible revenu rencontrent des difficultés majeures pour répondre aux besoins de leur population, provoquant un manque considérable de dispositifs médicaux adaptés [11]–[13].
Ce manque cruel naît du fait que la plupart de ces dispositifs sont pensés et élaborés par de nombreuses entreprises occidentales, qui disposent en général de toutes les ressources nécessaires, et qui représentent à ce jour, la source d’innovation la plus importante. Ces dispositifs médicaux ne sont donc pas toujours adaptés pour être fonctionnels hors de nos marchés nationaux (par exemple en termes d’accès à la l’électricité, à l’eau etc…). Ainsi, cette innovation frugale dans le domaine de la santé se voit essentielle pour pouvoir tenter répondre aux différents problèmes et défis de santé publique que relèvent les pays en voie de développement [14].
Cependant, même si la frugalité est souvent associée à un manque de moyens, ou bien à une réduction des coûts, il est important de garder aussi à l’esprit que ces innovations frugales ne se limitent pas seulement aux milieux précaires. En effet, la frugalité représente également une manière de faire preuve de créativité, tout en ayant l’avantage de s'affranchir des contraintes que peuvent imposer les structures et en résolvant les problèmes liés à la stratégie de recherche et développement.
Au-delà d’un gain de ressources matérielles et économiques, il peut donc également s’agir d’un véritable gain de temps qui peut s’avérer parfois essentiel, notamment dans des cas de crise sanitaire COVID-19.
Selon le Pr Mekontso, on peut définir l’innovation frugale par deux notions essentielles. La première notion serait de se focaliser sur le besoin. En effet, pour le définir, il est important de connaître ce que souhaite chaque utilisateur pour qu’il puisse représenter une “réalité” et non un “artifice” qui aurait été défini par des notions de marketing. En innovation frugale, le besoin ne doit pas être identifié selon la désirabilité d’un produit ou d’une population cible.
Une démarche de mise sur le marché d’un nouveau produit "classique" consiste à observer son potentiel puis de définir un prix en fonction des coûts et des marges à adopter. Dans le cas de la frugalité, le prix est une conséquence du concept. Ainsi, le low cost n’est qu’une résultante de l’innovation frugale et non, une spécificité du cahier des charges.
La frugalité doit au contraire prendre en compte l’ensemble des besoins de chaque acteur (formation, utilisation, conception, maintenance) et faire émerger ce qui est essentiel. Ce concept est également appelé l’innovation décloisonnée.
La deuxième notion importante en innovation frugale selon le Professeur Armand Mekontso Dessap est de concevoir le produit avec des contraintes. Les contraintes permettent aux fabricants de repenser le concept d’un produit remplissant une fonction. En effet, dans une démarche “classique”, elles sont davantage limitées par les ressources (R&D, main d'œuvre, qualification, ...) que par la fonction du produit.
Cette vision entraîne une sophistication de la solution proposée pour remplir cette fonction. En se focalisant sur des contraintes fortes, le produit sera potentiellement plus disruptif et sera tourné vers son efficacité. On peut imaginer que cela entraînera une évolution dans les pratiques, qui à terme ouvrira les portes d’un nouveau marché.
Pour illustrer l’innovation frugale, deux exemples peuvent être retenus :
- La banque Orange Bank Africa : cet exemple d’innovation a pris en compte une contrainte particulièrement présente dans de nombreux pays en mettant en évidence que l’accès à une banque se trouve limité par un manque d’infrastructures. La solution a été de proposer des services accessibles par SMS puisque la plupart de la population possède un téléphone [15].
- Le respirateur à faible pression développé par Air Liquide et le CH Henri-Mondor : la conception de ce dispositif est intervenue durant la crise du Covid-19. Dans le cadre de l’urgence sanitaire et du manque de respirateur dans les hôpitaux, le but était de fournir un oxygénateur haut débit permettant une saturation en O2 suffisante pour éviter ou retarder le passage du patient en réanimation. Le respirateur devait être simple à produire, peu cher et facile à utiliser pour le personnel [16], [17].
L’ensemble des études contextuelles précédentes a permis de comprendre l’environnement et les enjeux gravitant autour du sujet et ainsi mettre en exergue la problématique suivante :
QUELS SONT LES CRITÈRES DE RÉUSSITE POUR ASSURER LA PÉRENNITÉ D’UN DISPOSITIF MÉDICAL FRUGAL ?
Notre objectif est donc de répondre à cette problématique en étudiant des exemples d’innovations frugales afin de dégager un certain nombre de critères de réussite (Figure 5). Il sera ensuite question d’apporter une synthèse de manière à permettre le développement durable d’un dispositif médical frugal.
Figure 5 : Le processus d’étude à venir [source : auteurs]
2.2 Les catégories d’innovations frugales en santé
On peut alors distinguer plusieurs catégories d’innovations frugales [20]:
- Les outils et techniques “Lean” (innovation optimisée) sont une technique qui vise à simplifier et à adapter les technologies existantes dans le but de diminuer considérablement les coûts. Bien souvent, ces outils conçus pour les pays à faibles ressources sont parfois beaucoup plus rentables vis-à-vis de ceux utilisés dans nos pays occidentaux, puisqu’ils sont en général dépourvus des fonctions moins utiles et coûtent ainsi beaucoup moins cher. Dans cette catégorie d’innovation, on peut retrouver la grande filiale GE (General Electric) avec son chauffe-bébé “Lullaby” (Figure 6) qui coûte moins de la moitié que ce même dispositif vendu aux Etats-Unis (3000$ en Inde contre 12000$ aux Etats-Unis) mais qui remplit en revanche d’autres fonctions [21]. En effet, le « Lullaby » de chez GE a soulevé quelques défis pour pouvoir proposer un dispositif durable, moins cher, qui résiste aux pannes de courant et qui peut être également utilisé par des utilisateurs non formés. Pour répondre à toutes ces contraintes, les fabricants ont supprimé les fonctionnalités non essentielles pour se concentrer finalement sur la fonction principale de lutte contre l’hypothermie. Ainsi, GE a choisi de simplifier les matériaux en remplaçant la commande moteur par une manivelle et une poignée, en ajoutant une sonde de température réutilisable, et en supprimant le stabilisateur de tension afin que la couveuse puisse s’adapter aux contraintes électriques des pays émergents. Ce produit permet donc de réduire sa consommation en électricité d’environ 50% par rapport à un incubateur traditionnel.
Figure 6 : Le chauffe-bébé “Lullaby Warmer” de GE [22]
- Les innovations opportunistes s’appuient sur une utilisation intelligente des technologies accessibles à tous pour s'attaquer aux problèmes existants. On peut parler dans ce cas des imprimantes 3D qui constituent un véritable enjeu dans l’accès à ces dispositifs médicaux comme des prothèses ou bien la conception des pièces de rechange [23]. Les logiciels capables d’impression en 3D se font de plus en plus courant et ce dans divers domaines. La santé, et notamment l’orthopédie peut largement profiter de ce genre de technologie afin de concevoir des plâtres dotés de multiples ouvertures (Figure 7). Ces multiples ouvertures offrent de nombreux avantages comme le fait d’être véritablement plus léger qu’un plâtre traditionnel, ils permettent aussi de laisser la peau des patients à l’air libre et ainsi de ne pas absorber la transpiration. De plus, au-delà du confort des patients, les professionnels médicaux gagnent un temps précieux puisqu’ils n’ont plus à confectionner et modeler eux-mêmes le plâtre.
Figure 7 : Exemple d’un plâtre réalisé par impression 3D [24]
- Les adaptations contextualisées qui consistent en une démarche de contournement et d’adaptation des techniques pour une finalité totalement différente. On peut prendre l’exemple des bandelettes réactives urinaires dont leur utilisation a été détournée pour pouvoir évaluer le liquide céphalo-rachidien ou le liquide synovial et poser un diagnostic à coût moindre. Ou bien on peut aussi citer le masque décathlon qui a été détourné de son utilisation (Figure 8). En effet, le masque décathlon se présente à l’origine comme un masque utilisé lors de la pratique du « snorkeling » (randonnée sous-marine). Cependant, lors de la crise sanitaire COVID-19, un médecin propose de le détourner de son utilisation initiale pour en faire un respirateur. C’est notamment grâce à une imprimante 3D qu’ils a été possible de fabriquer les raccords nécessaires entre le masque et les tubes d’hôpital. Les pièces ont été choisi de manière à ce qu’elles puissent s’adapter à la plupart des tuyaux des hôpitaux [23].
Figure 8 : Le masque Décathlon avec un embout imprimé en 3D [25]
- Les innovations ascendantes qui caractérisent des idées originales mais très simples pour répondre à des objectifs inaccessibles, et souvent fondées sur des pratiques locales. Par exemple, on peut citer la méthode “des soins kangourou” (Figure 9) qui s’est avérée aujourd’hui essentielle dans des services de néonatologie pour la prise en charge des prématurés [26]. Cette méthode a été lancée en Colombie, en raison d’un manque réel d’incubateurs et face à un taux élevé de mortalité néonatales. Les « soins kangourou » se caractérisent par un allaitement exclusif et très fréquent ainsi que la mise en place d’un contact peau à peau précoce et prolongé entre la maman et son bébé. Cette méthode mère-kangourou a montré de nombreux bienfaits comme, la stabilisation de son rythme cardiaque et respiratoire, une meilleure régulation thermique, la diminution de la fréquence de ses apnées et des risques d’infection, etc…
Figure 9 : La méthode Kangourou [27]
Néanmoins, l’un des problèmes majeurs de la frugalité, réside dans le fait que de nombreuses innovations frugales restent uniquement diffusées à une échelle locale et non mondiale. Ceci limite donc considérablement l’accès et l’utilisation de toutes ces innovations, s’avérant être utiles et pouvant être élargies dans de nombreuses situations pour répondre aux objectifs majeurs de santé publique.
2.3 Les limites de la frugalité
2.3.1 Limites réglementaires
Pour rappel, tout dispositif médical dans l’Union Européenne est soumis au marquage CE Règlement (UE) 2017/745 du 5 avril 2017 ainsi que la norme NF EN ISO 13485:2016 (présomption de preuve) décrivant un cycle de vie bien spécifique, qui définit un certain nombre d’étapes clés, synthétisées dans la Figure 10. En premier lieu, il s’agit de définir des exigences de conception qui sont précisées selon une réglementation de commercialisation et le respect de différentes normes et exigences. Une fois cette étape réalisée, il s’agit alors de passer à l’étape de conception du dispositif médical et du prototypage, en préparant un dossier de fabrication du prototype en vue de la préparation des études précliniques. Ensuite, suit l’étape de fabrication et d’industrialisation qui nécessite l’obtention d’un marquage CE, auprès d’organismes notifiés, et une évaluation du remboursement pour pouvoir poursuivre la mise sur le marché. Après cette mise sur le marché, l’étape de surveillance du dispositif médical est une étape primordiale pour maintenir ou non le maintien du marquage CE.
Figure 10 : Le cycle de vie du dispositif médical [28]
On s’aperçoit donc d’ores et déjà que le secteur des dispositifs médicaux met en jeu de nombreux acteurs et de nombreux règlements et normes, qui vont constituer une limite majeure à l’innovation frugale dans nos pays européens afin d’en assurer la qualité et la sécurité.
2.3.2 Les limites spatio-temporelles
La frugalité permet d’innover dans des contextes particuliers. L’environnement socio-économique peut stimuler l’innovation frugale. Dans le cas des pays émergents, la présence d’une population ayant un taux de pauvreté supérieur aux pays occidentaux empêche l’accès de certains services ou produits. L’Inde fait partie des plus grands pourvoyeurs de solutions frugales. Ainsi, la population indienne, comme vue dans l’exemple d’Embrace, peut obtenir grâce à des produits et des services frugaux, de nouvelles fonctionnalités qui seraient trop coûteuses dans le cas d’un produit ou d’un service simplement innovant.
Cependant, ces solutions ne sont présentes qu’à l’échelle d’un pays dans le meilleur des cas. La frugalité reste compliquée à exporter dans le sens où les entreprises qui développent des produits frugaux sont bloqués par le contexte socio-économique. Les besoins qu’apportent un produit frugal est adapté à une culture, à la présence de ressources particulières mais également aux besoins immédiats lors d’une crise sanitaire comme le Covid-19. La pandémie du Covid-19 a permis par exemple d’assouplir les exigences réglementaires cliniques dans le cadre des vaccins mais également dans le développement de nouveaux respirateurs frugaux comme le masque Décathlon. Il y a donc une limite à l’innovation frugale en termes de zone géographique et du contexte socio-économique voire politique dans lequel ces produits voient le jour. Malgré ces limites, l’open source semble être une voie intéressante.
2.3.3 Les limites idéologiques et économiques
Une autre limite à aborder est le droit de propriété intellectuelle. Lorsqu’ une entreprise souhaite concevoir un produit frugal, la concurrence peut être importante. Dans ce contexte, un paradoxe peut être présent. Une entreprise a besoin de protéger ces idées innovantes pour développer son produit et sa société sereinement. D’autre part, une entreprise frugale cherche avant tout à proposer un produit abordable au plus grand nombre en ayant des marges de rentabilité faible ce qui peut jouer sur la solidité et la pérennité de la société et de leurs produits frugaux. La crainte de partager son innovation frugale peut créer une réticence à s’engager dans la voie de la frugalité.
L’open source ou l'hyper collaboration est une solution envisagée pour pallier cette limitation économique. L’open source rentre dans une démarche éthique de la frugalité qui consiste à proposer des produits frugaux sans restriction de droits d’auteurs, de manière à étendre leur accessibilité.
Il s’agit d’une voie intéressante pour permettre une utilisation étendue d’un produit frugal. Le masque Décathlon, adapté à une utilisation biomédicale durant la crise du Covid-19, en est un parfait exemple. Les plans de l’adaptateur permettant de le brancher à un ventilateur d’anesthésie ont été mis à disposition en open source.
A partir des plans 3D, la fabrication de l’adaptateur peut être effectuée n’importe où dans le monde, à moindre coût, permettant ainsi de lutter contre la crise sanitaire mondiale.
Mais l’innovation en open source ne s'arrête pas là. Si l’on poursuit cet exemple, quatre projets en open source ont vu le jour autour de l’adaptation du masque décathlon à usage médical. Ceux-ci vont de la création d’une pièce permettant l'intégration de lunettes de vue jusqu’à une solution d'interphonie filaire avec les schémas électroniques associés libres de droits (Figure 11).
Tous les plans, réalisés en open source, ou hyper collaboration, sont donc accessibles partout et par tous. Il s’agit là d’un exemple de conception frugale de dispositifs médicaux.
Figure 11 : Déclinaisons du masque Décathlon en Open Source [29]
3. Les enjeux de l'innovation frugale
Pour comprendre davantage les enjeux liés à l’innovation frugale, il est nécessaire avant tout de cerner les différents acteurs concernés par ce concept innovant. En effet, dans le secteur biomédical, on peut citer deux familles d’acteurs principaux avec d’un côté les fabricants et de l’autre les exploitants, sans oublier les patients qui sont placés au centre de ce trio, puisque les fabricants et exploitants travaillent ensemble au service du patient (Figure 12).
Figure 12 : Les acteurs [source : auteurs]
3.1 Des enjeux économiques
3.1.1 Pour les fabricants
Pour diminuer ses coûts de production, une entreprise doit disposer de ressources fiables et disponibles. En adaptant les concepts d’innovation frugale, le fabricant va privilégier une ressource abondante et disponible qui ne paralysera pas sa chaîne de production [30].
Une entreprise qui souhaite remporter des appels d’offres se doit d’intégrer une dimension écologique dans son processus de fabrication et/ou de livraison et de maintenance. En effet, avec l’attribution d’un nombre de points pour le développement durable dans un marché public, une entreprise qui pratique l’innovation frugale obtiendra nécessairement un meilleur score qui permettra de se distinguer des autres concurrents [31].
L’effet pervers étant qu’un dispositif frugal par définition a vocation à se renouveler moins souvent avec le risque de diminuer ses ventes. Le Fabricant peut ne pas être tenté par l'innovation frugale et y préférer l’obsolescence programmée [32].
L’entreprise pourrait également entrevoir une aubaine financière en souhaitant conquérir un nouveau marché porteur sans pour autant adhérer au concept, en se suffisant à faire du “frugalwashing” (par analogie au Greenwashing : écoblanchiment) [33].
Que ça soit par conviction, ou pour répondre à une nécessité de marché, l'entreprise peut intégrer l’innovation frugale pour augmenter ses ventes qui répondront aux besoins des consommateurs commençant à devenir frugaux [34].
3.1.2 Pour les exploitants
Dans son exploitation, une entreprise, un établissement de santé, qu'il soit privé ou public, doit tenir son budget.
Depuis les créations des Groupements Hospitaliers de Territoire (GHT), les établissements qui en font partie doivent réaliser des Gains d’achats, mais aussi des gains d’exploitation explicités sous formes de rapports annuels.
Dans les commandes publiques, il est facile de générer une économie en augmentant le volume, puisque le GHT commande pour tout le monde, ainsi on obtient généralement un meilleur prix. (Exemple : 10 000 couches à 1€, 50 000 à 0.86€).
Le dispositif médical étant un marché spécifique, le gain sur le volume est souvent négligeable.Un dispositif frugal par définition sera souvent moins cher à l’achat ou moins cher à l’exploitation voire les deux. Il y a donc un réel intérêt pour l’exploitant de se tourner vers un dispositif frugal avec lequel il générera très probablement des économies non pas par le volume mais en investissement et en exploitation [35]. Enfin, le dispositif ayant vocation à durer plus longtemps, l’exploitant le remplacera plus tard et générera des économies sur son budget d'investissement.
3.2 Des enjeux sociaux
La pandémie du Covid-19 a littéralement bouleversé les habitudes des professionnels, et les établissements de santé et entreprises privées ont été les premiers touchés et les premiers contraints à repenser leur façon de procéder dans le but d’être efficaces pour venir en aide à un maximum de patients. En effet, durant cette crise sanitaire, les patients ont cruellement manqué de dispositifs médicaux et de consommables. Ainsi, un nombre considérable d’initiatives originales ont pu voir le jour pour résoudre les problèmes.
"La contrainte a boosté l’innovation frugale"
RADJOU, Navi. L'innovation frugale - Navi Radjou. 31 Juillet 2020. Youtube[34].
En dehors de la crise, qui a mis en lumière l’innovation frugale, le principal enjeu pour le patient a toujours été et sera toujours la préoccupation de sa santé.
Par conséquent, le concept d’innovation frugal permettra de fournir plus facilement et plus rapidement un dispositif médical pour répondre aux besoins de santé public.
Une approche frugale peut ainsi permettre d'effectuer de meilleurs soins en utilisant le moins de ressources possibles pour les patients les plus gravement malades [36].
A titre d’exemple, la couveuse EMBRACE Nest a sauvé près de 200 000 bébés prématurés dans plus de 20 pays depuis 2008 [37].
Figure 13 : La couveuse EMBRACE Nest [38]
3.3 Des enjeux écologiques
Dans un avenir incertain, tant sur le plan climatique que socio-économique, la stratégie des entreprises en général, comme des établissements de santé, est d’évoluer de plus en plus rapidement sans oublier le respect de l'environnement (Figure 14). L’innovation frugale y représente un véritable levier en répondant efficacement aux problématiques de coupe budgétaire et d'optimisation des ressources [39].
Figure 14 : Le triptyque du développement durable [source : auteurs]
Les enjeux de la conception frugale répondent au triptyque du développement durable. En effet, l’essence même de la frugalité est la coexistence de ces différents enjeux. L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) synthétise d’ailleurs ce triple enjeu sous la forme de 17 points cruciaux. Cette synthèse se charge de rappeler ces défis liés au développement durable dans tous les pays, comme le climat, la pauvreté, l’eau, l’énergie, etc, et par conséquent, la totalité de ces points cruciaux se retrouvent invraisemblablement liés à la conception frugale qui souhaite s’inscrire dans un environnement durable pour tous en réduisant le principe de sophistication. L’innovation frugale se veut respectueuse de l'environnement en proposant des produits plus simples avec des pièces facilement récupérables pour pouvoir offrir une plus longue durée de vie au produit. Ces principes sont donc en parfaite harmonie avec l’idée de placer la conception frugale au cœur d’une économie circulaire.
Il est évident que la majorité des indicateurs alertent sur un réchauffement planétaire et une raréfaction des ressources. Ainsi, il devient plus que jamais nécessaire de les économiser [40]. L'innovation frugale se veut donc écologique, particulièrement si on la compare avec son équivalent non frugal.
Figure 15 : Des déchets électroniques dans une décharge africaine [41]
En France, depuis le 1er Janvier 2021, l'affichage obligatoire d’un indice de réparabilité est institué par l’article 16-I de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 de lutte contre le gaspillage et pour l’économie circulaire, pour les dispositifs électroniques. Une note sur dix informe le consommateur de l’indice de réparabilité des produits.
Ces critères sensibilisent les consommateurs en orientant leurs comportements d’achat vers des produits plus facilement réparables.
Il constitue un outil frugal de lutte contre l’obsolescence pour éviter la mise au rebut des produits et préserver davantage les ressources nécessaires à leur conception.
En 2024, la loi prévoit que cet indice devient un indice de durabilité avec notamment des nouveaux critères de fiabilité et de robustesse [42].
4. Des exemples d'innovations et de dispositifs médicaux frugaux
4.1 Les échecs d'innovations frugales
4.1.1 La Tata mobile : des problèmes de fiabilité et de sécurité
Figure 16 : Un voiture Tata Nano en train de brûler [43]
En 2008, lors du 9ème salon indien de l’automobile, la Tata Nano subjugua la plupart des observateurs du monde entier, en se présentant comme un véhicule low tech à partir de 1500$. Annoncée comme la nouvelle coccinelle, la voiture du peuple précédait la révolution frugale des véhicules, avec un prix d’appel de 1500$, bouleversant le monde automobile. Une philosophie « frugale » du véhicule faisant écho au succès de DACIA.
Ce petit prix est notamment rendu possible grâce à la réutilisation d’une majorité des pièces associées, à l’utilisation de panneaux en plastique pour gagner du poids et également grâce au moteur 2 cylindres qui se trouve être plus petit que pour certaines motos.
Pour autant, dès sa sortie, le véhicule présente des problèmes de fiabilité en raison de nombreux épisodes marquants de combustion spontanée (Figure 16).
Finalement, le succès et l’engouement pour la Tata Nano se voit éphémère, puisque ce véhicule low-cost ne remporte pas la moindre étoile au crash test. Ce qui rend impossible la commercialisation de cette voiture dans l’Union Européenne et les États-Unis. De plus, la tata Nano a malheureusement été fortement associé à une « voiture bon marché », ce qui n’attire pas les consommateurs à faible revenu, qui sont malgré tout eux aussi à la recherche d’un produit de qualité. Ainsi, la forte association de la voiture au “véhicule du pauvre" n’a pas aidé à développer les ventes [44], [45].
Aujourd’hui on peut donc s'interroger quant à l'échec de la Tata Nano. Malgré ces quelques critères qui répondent au principe de frugalité, un dispositif d’innovation frugale avec un faible coût n’est pas synonyme de réussite, ni même une assurance en matière de sécurité (Figure 17).
Figure 17 : Bilan de l’analyse de frugalité de la Tata Nano (source : auteurs)
4.1.2 Le respirateur "Usine à gaz": des fonctions secondaires trop complexes
Figure 18 : Le respirateur “Usine à Gaz”
Il est difficile d’obtenir des informations officielles de cet échec commercial. Les informations suivantes proviennent de sources anonymes et d'expériences professionnelles.
L'entreprise X décide de développer un nouveau respirateur « HIGH TECH » (Figure 18), un respirateur en apparence de CHU, accessible pour tous, avec des fonctionnalités révolutionnaires.
Il avait de nombreux points forts dont son autonomie qui représente un véritable gain de temps pour les anesthésistes qui n’avaient désormais plus besoin d’intervenir sur certains réglages de paramètres, puisque ceux-ci avaient la capacité de se modifier et s’ajuster automatiquement. Ce respirateur était aussi très polyvalent et possédait de nombreuses fonctions capables d’améliorer la prise en charge du patient, notamment grâce à une administration médicamenteuse optimisée qui évitait les surdoses et réveils compliqués après l’intervention (Figure 19).
De plus, ce produit se souciait également de l’empreinte écologique en diminuant l’émission de gaz à effet de serre des agents halogénés. Par ailleurs, les consommations en agent anesthésique et oxygène étaient largement diminuées ce qui permettait de réduire le coût unitaire des procédures d’anesthésie. Malgré tout cela, le dispositif en lui-même était très chère, environ le double du prix des concurrents (Figure 19).
En dépit de ces avantages certains, ce dispositif médical a très vite eu une mauvaise réputation. Les ingénieurs d’applications restaient en moyenne deux fois plus longtemps pour former les utilisateurs. Si bien que l’entreprise X face à cet échec commercial a fait rapidement évoluer son respirateur en présentant une version moins automatisée, moins chère et beaucoup moins complexe.
Aujourd’hui, avec une prise de recul suffisante, on peut penser que ce dispositif était à priori sans aucun doute innovant, peut-être même en avance sur son temps, pour autant, ce respirateur ne semblait pas répondre aux besoins de l’anesthésiste et son utilisation n’était pas intuitive. Finalement, après cet échec, les besoins ont été pris en compte sur une nouvelle version du respirateur « usine à gaz », le concepteur a proposé une interface plus intuitive, supprimé des fonctions non essentielles et diminué son prix, ainsi le dispositif médical est devenu un succès commercial dans toute l’Europe.
Figure 19 : Bilan de l’analyse de frugalité du respirateur "usine à gaz" (source : auteurs)
4.2 Les succèes d'innovations frugales
4.2.1 La voiture Logan : des pièces réutilisées et un besoin identifié
Figure 20 : La voiture Logan de Dacia [46]
“L’épopée” commence en 1995, avec une idée de concept de voiture frugale (Figure 20). Un des premiers véhicules de cet époque symbolisant cette innovation majeure est la Logan, fondée sur une stratégie de rupture qui contribue encore aujourd’hui largement au succès du groupe. Renault s’est lancée dans cette aventure affrontant les obstacles et les surprises qui l’ont jalonnée pour devenir un succès. Pour parvenir à la construction de ce produit, Renault a réuni une équipe de designers français, qui avaient le sens du design haute gamme, et des ingénieur roumains, qui eux étaient soucieux des coûts.
La Logan a surmonté les problématiques industrielles, économiques, géopolitiques et sociales de portée générale, qui concernent l’industrie automobile mais aussi l’ensemble de nos organisations économiques.
Dacia a mis en lumière une voie alternative en matière d’offre de commercialisation et surtout de modèle rappelant sur beaucoup de points les principes de l’innovation frugale. Dacia est un succès, tout d'abord pour son faible coût (6000$), mais pas uniquement.
La stratégie de Renault de réutiliser les pièces et accessoires des modèles plus anciens qui ont fait leurs preuves, participe grandement à la fiabilité de la Logan. Les ingénieurs ont fait le choix de réduire le nombre total des pièces en choisissant par exemple de faire un tableau de bord moulé d’une seule pièce, afin de limiter l’utilisation de matières premières et de faciliter l’assemblage des pièces.
La voiture possède une durée de vie supérieure, n’a pas beaucoup de dysfonctionnement et utilise des pièces que l’on peut facilement retrouver partout. Le coût d'entretien, avec la main d'œuvre comprise, est également largement diminué aujourd’hui encore en rapport aux autres marques (Figure 21) [46], [47].
Ainsi, cette voiture ne possède ni gadget ni d’électronique embarquée et répond parfaitement aux besoins de multiples consommateurs, qui ne souhaitent qu’un véhicule simple et sécurisé, sans artifices, pour pouvoir se déplacer. Tous ces avantages font de la Logan, une voiture simple, peu coûteuse et facilement réparable. La Logan, qui au départ était à destination des pays à faibles revenus, a finalement séduit plus d’un consommateur Européen (Figure 22).
Figure 21 : Comparaison des tarifs de la main-d'œuvre en fonction du véhicule [47].
Figure 22 : Bilan des critères de réussite de frugalité issus de la voiture Logan (source : auteurs)
4.2.2 Embrace : un besoin essentiel et une population ciblée
L’incubateur Embrace a été conçu et pensé par un groupe d’étudiants de l’université de Stanford lors d’un cours dédié à la conception de produits accessibles à des personnes ne pouvant pas dépenser plus de 1$ par jour. Ces étudiants ont choisi de répondre à une problématique majeure de santé publique, qui concerne la naissance d’enfants prématurés. En effet, la prématurité est un phénomène qui touche tous les pays, avec près de 15 millions de bébés prématurés qui naissent chaque année [48].
Cependant, ces naissances prématurées sont réparties de manière très inégales puisque les pays en voie de développement restent finalement les premiers concernés par cette problématique, avec un taux de mortalité bien plus élevé : plus de 90% des prématurés nés dans un pays à faible revenu (comme l’Inde) décèdent dès leurs premiers jours de vie souvent en raison d’une hypothermie, contre moins de 10% dans des pays à revenu élevé [48].
Les étudiants de Stanford ont alors pensé en premier lieu à concevoir une couveuse plus légère et plus accessible en termes de prix. Or, c’est lors d’un voyage au Népal et après avoir longuement discuté avec la population et les médecins que les étudiants ont pu réellement définir les utilisateurs finaux et les contraintes associées à cette innovation. Ils se sont ainsi rendu compte que les hôpitaux ne manquaient pas nécessairement d’incubateurs dans leur service, mais qu’ils se trouvaient pourtant tous vides, en raison notamment d’un manque de techniciens qualifiés pour réparer ces dispositifs. Leur premier prototype ne correspondait finalement pas aux besoins de la population puisque la plupart des naissances, en Inde, se font dans des zones rurales ou une grande partie de la population n’a ni accès aux transports, ni à l'électricité, ce qui rend les déplacements jusqu’à l’hôpital très compliqués. Les étudiants ont alors changé de point de vue et ont décidé de placer la mère au centre des besoins en créant un incubateur à usage domestique, capable de fonctionner sans électricité, facilement transportable et bien sûr également peu coûteux. Et tout cela dans le but de garder le bébé au chaud dans des zones rurales suffisamment longtemps pour que celui-ci puisse être transporté jusqu’à l’hôpital [37].
Cet incubateur, appelé Embrace, ressemble à un mini sac de couchage équipé d’une poche de matériau à changement de phase (la paraffine) capable de maintenir une température de 37°C suffisamment longtemps (jusqu’à 4h). Ce matériau peut ensuite être plongé dans une casserole d’eau bouillante pour pouvoir être réchauffé et réutilisé [37].
Embrace rassemble donc de nombreux critères essentiels pour la mise en œuvre des bonnes pratiques d’une conception frugale (Figure 23). Il répond à un besoin essentiel en ayant ciblé parfaitement l’utilisateur final et ses contraintes existantes (notamment l'électricité). Il est également beaucoup plus intuitif à utiliser que les incubateurs traditionnels et s'associe parfaitement avec la démarche de soins kangourou préconisée pour le soin des prématurés. De plus, son coût représente seulement 1% du prix d’une couveuse traditionnelle (20 000$ pour un incubateur traditionnel contre 25$ pour l'incubateur Embrace). Cet incubateur a déjà sauvé plus de 350 000 vies depuis 2011, l’année où le produit est lancé, avec l’ambition d’atteindre le million d’ici 2026 [49].
Figure 23 : Bilan des critères de réussite de frugalité issus de l’incubateur Embrace (source : auteurs)
4.2.3 Le lanceur réutilisable Falcon 9 de SpaceX
Il est difficile d'imaginer que Falcon 9, le lanceur à 62 Millions de Dollars de la société SpaceX soit une innovation frugale (Figure 24).
Pourtant, malgré son coût, la société d’Elon Musk a bien créé une “fusée réutilisable'' répondant parfaitement aux besoins de la Nasa à savoir un lanceur permettant d'abaisser fortement le prix des mises en orbite grâce à des coûts de fabrication modérée, et à la récupération et la réutilisation des étages de sa fusée.
Cet exemple illustre le fait que le principal critère d'innovation frugale est bien de créer dans les contraintes un dispositif répondant aux besoins.
On peut donc voir dans cet exemple que le prix de conception n’est qu’une conséquence et qu’il ne doit pas forcément être minime pour être frugal.
Figure 24 : Atterissage en “Suicide Burn” du lanceur Falcon
Le lanceur tombe le plus vite possible et déclenche au dernier moment sa combustion “suicide burn” avec juste la quantité de carburant dont il a besoin, si bien qu’une fois que le dispositif est posé, “il n’y a plus une goutte” de carburant [50]–[52].
Le lanceur Falcon 9 représente donc un véritable défi d’innovation frugale, que Space X a parfaitement su relever en fournissant une fusée réutilisable malgré un environnement de contraintes important (Figure 25).
Figure 25 : Bilan des critères de réussite de frugalité issus du lanceur Falcon 9 (source : auteur)
4.3 Le M.U.R, un exemple en demi-teinte : un travail collaboratif et une production simple, mais des techniques essentielles manquées
Récemment, un projet collaboratif du nom de MUR - Minimal Universal Respirator a pu voir le jour (Figure 26). Ce projet a débuté dans l’urgence de la pandémie du Covid avec le besoin important en termes de respirateur artificiel. Le but de ce projet est de développer un respirateur pouvant être produit facilement, à bas coût et demandant un faible niveau de formation pour les utilisateurs. Pour cela, le prototype est constitué de boitiers de contrôle physique, d’un capteur barométrique, de filtres à charbon, de valves imprimées en 3D et d’une carte électronique. Ce dispositif permet de répondre au besoin immédiat tout en prenant en compte les contraintes liées au manque de matériel.
Ce sont tous ces différents paramètres qui permettent de caractériser ce dispositif médical comme frugal. Ce respirateur met aussi en évidence l’avantage de l’open source qui apporte un engagement et une transdisciplinarité dans le développement d’un produit frugal (Figure 28).
Figure 26 : Respirateur M.U.R. - Minimal Universal Respirator
Au premier abord, ce projet représente un exemple de frugalité. Cependant, après avoir discuté avec un professionnel de la réanimation, ce produit serait peu utile car n’ayant pas les caractéristiques techniques essentielles attendues par un respirateur. Malgré le manque d’investigation sur ce DM, cet exemple montre l’importance de définir les fonctions essentielles en répondant aux besoins. Des concepts comme la low tech ou le low cost doivent être une conséquence de la frugalité et non une finalité [53], [54].
Ce constat concernant le M.U.R fait d’ailleurs l’objet d’une mise à jour du dispositif de manière à répondre à l’ensemble des besoins exprimés. En effet, une mise à jour est à l’étude avec un réel réglage de la PEP (pression expiratoire positive).
Figure 27 : Vers une nouvelle version du M.U.R [53]
Figure 28 : Bilan de l’analyse de frugalité du M.U.R (source : auteurs)
4.4 Présentation des critères extraits des exemples qui caractérisent la frugalité
Après avoir pris le temps d’analyser et de détailler chaque innovation, il était nécessaire de répertorier tous nos critères de réussite dans un tableau afin d’évaluer leur pertinence (Figure 29). Pour cela, il s’agit d'attribuer une couleur représentative du respect ou non-respect des items : une pastille verte signifie que l’item est respecté, une pastille orange indique que le critère est partiellement respecté, tandis qu’une croix signifie un non-respect total de l’item. Ce tableau met finalement en avant l’ensemble des différents critères auxquels répondent chacun de nos exemples illustrés précédemment.
Figure 29 : Evaluation des critères de réussite de la frugalité (source : auteurs)
Grâce à cette analyse, on remarque que l’incubateur Embrace répond de manière significative à l’ensemble de ces critères de réussite. A contrario, le respirateur “usine à gaz”, qui est un contre-exemple de la frugalité, ne répond qu’à très peu d’items. Ce tableau de synthèse permet ainsi de confirmer que nos critères de réussite sélectionnés sont bien représentatifs d’une conception frugale. C’est notamment grâce à l’exploitation de ce tableau qu’a été construit l’autodiagnostic Excel, expliqué dans les parties ci-dessous. L’autodiagnostic permettra d’être davantage précis, et de fournir un véritable score de frugalité afin d’être en mesure de comparer de manière quantitative les différents exemples.
5. Proposition d’un outil de détermination de l’indice de frugalité
5.1 Le choix de l’outil
L’analyse des différents exemples précédemment décrits ont permis de dégager des critères pertinents, permettant ainsi, l'élaboration d’un outil d’autodiagnostic (Annexe 2) prenant la forme d’un tableau Excel. Ce choix a été effectué afin de permettre un accès rapide, depuis différentes plateformes, mettant en exergue les résultats sous forme de graphe radar.
L’autodiagnostic est un outil qui procure de nombreux avantages, dont celui de faciliter la visualisation et la communication. En effet, cet outil va permettre d’amorcer le dialogue entre les différents acteurs et de mettre en place un véritable travail collaboratif pour pouvoir établir des plans d’action nécessaires à l'issue de cette évaluation.
L’objectif principal de cet outil est donc de mesurer un indice de frugalité en identifiant les points forts et les points faibles de la phase de conception (le cas échéant) d’un dispositif médical. Il permettra ainsi de fournir un score de frugalité (tel qu’un nutri-score) que les fabricants pourront associer à leur dispositif médical.
Cet outil d’autodiagnostic s’adresse en particulier à toutes les entreprises qui souhaitent concevoir ou évaluer un dispositif médical frugal afin de dégager les points critiques à améliorer. Mais il s’adresse également, dans une moindre mesure, aux exploitants, qui pourront se servir de ce score de frugalité dans la rédaction de leurs appels d'offres par exemple.
5.2 L’organisation de l’outil
5.2.1 Le PDF interactif
Dans un premier temps, pour accompagner l’outil d’autodiagnostic, il était pertinent de fournir un document permettant de rappeler les notions nécessaires associées au principe de l’innovation frugale. Le format PDF étant populaire, simple et généralisé à tous les ordinateurs, c’est tout naturellement et logiquement qu’il semblait plus judicieux de travailler avec cet outil pour incarner notre concept de frugalité.
- A qui s’adresse le PDF interactif ?
Le PDF s’adresse avant tout au fabricant mais aussi à l’exploitant. Ce document est un guide pour qui compte souhaite savoir si le dispositif médical qu’il a en face de lui ou qu’il a imaginé est frugal.
- A quel moment ?
Le document fonctionne à tout moment du cycle de vie du dispositif médical, de la conception à la réforme ou déclassement. Évidemment, le résultat sera évolutif en fonction de la période, des informations plus précises seront disponibles par exemple pour un dispositif médical en exploitation alors qu’elles ne seront qu’imagées ou anticipées lors de sa fabrication.
- Pourquoi ?
On souhaite savoir si notre dispositif médical répond aux critères de réussite de l’innovation frugale.
- Dans quel but ?
Pour un fabricant, il peut y avoir un intérêt commercial pour le marketing "frugal washing" et ainsi profiter “d’un nouveau marché” pour vendre davantage. Le but peut être aussi dans un souci personnel ou institutionnel de vouloir s'engager davantage dans une démarche de développement durable.
5.2.2 L'autodiagnostic
Concernant, l’outil en lui-même, l’autodiagnostic a été conçu grâce aux différents critères de réussite qui ont été répertoriés (Figure 30). Parmi ces critères, on a fait le choix de différencier les besoins et les contraintes.
Figure 30 : Récapitulatif des critères de réussite d'un dispositif médical frugal (source : auteurs)
C’est notamment suite aux différents entretiens avec des professionnels, qu’il a été choisi de différencier le critère “besoin” du critère “contrainte”. En effet, le besoin se démarque comme étant le critère fondamental dans la conception d’un dispositif médical, puisqu’il permet avant tout de cibler l’utilisateur spécifique et de se focaliser sur l’essentiel en autant le superflus grâce à une collaboration efficace entre l’ensemble des parties prenantes. Cette première phase d’évaluation évolue ensuite dans un environnement de contraintes, où un certain nombre de critères permettent d’évaluer la pertinence en termes de frugalité.
Ainsi, l’outil se présente comme une grille d’évaluation constituée de : 5 items caractérisant le besoin et de 34 items pour illustrer toutes les contraintes citées préalablement (Figure 30). L’utilisateur de l’outil choisira parmi une liste déroulante, la réponse aux différents critères d’évaluation, aboutissant à un pourcentage représentant un score de frugalité.
5.3 Les exemples testés avec l’outil d’autodiagnostic
Après la réalisation de l’autodiagnostic, il était nécessaire de vérifier la pertinence de l'outil en testant chacun de nos exemples. Chaque exemple a donc été étudié à travers l'outil par chacun des membres du groupe avant d'effectuer une moyenne (Figure 31). Il est à noter que l’outil est réalisé pour les dispositifs médicaux et que l’étude d’innovations en dehors de ce domaine doit être vue à titre indicatif.
Figure 31 : Résultats de l'autodiagnostic sur chacun des exemples étudiés
Grâce à ce score de frugalité, l’outil rend ainsi possible une comparaison quantitative. Embrace, qui répond à l’ensemble des contraintes et satisfait un besoin primaire, se distingue des autres exemples en affichant un score de 88% (Figure 32). En opposition, le respirateur “usine à gaz” propose un pourcentage de frugalité de 29% (Figure 33), ce qui est largement inférieur à l’ensemble de nos résultats. Cette analyse quantitative, issue de l'autodiagnostic, est donc en adéquation avec les résultats obtenus dans le tableau de synthèse (Figure 29).
Figure 32 : Graphe Radar d’Embrace (source : auteurs)
Figure 33 : Graphe Radar du respirateur “usine à gaz” (source : auteurs)
Cependant, certains des résultats obtenus restent relativement proches. Pour cela, il convient d’établir un seuil de frugalité : un score de frugalité inférieur à 50% indique que le DM ne correspond pas à une innovation frugale. Finalement, l’autodiagnostic permet d’affirmer que la tata Nano et le respirateur sont bien des échecs. Tandis que la voiture Logan, l’incubateur Embrace, et le Falcon 9 sont bien des réussites d’innovation frugale. En revanche, le M.U.R obtient un résultat moyen de 74% (figure 31), ce qui est bien au-dessus du seuil de succès estimé à 50%.
Néanmoins, le M.U.R est décrit comme un échec par un certain nombre de professionnels de la santé. Cet échec s’explique par le fait que les besoins n’ont pas été clairement identifiés. En effet, outre le manque de sécurité du dispositif, la fonction PEP, pourtant essentielle, n’est pas réalisable avec le M.U.R première édition.
Il est donc primordial de suivre la checklist de l’outils (feuille “Besoin”), avec la plus grande précision et ce, de manière collégiale, puisque même si le M.U.R se présente de prime abord comme un dispositif médical frugal qui prend en considération de nombreuses contraintes, il n’en reste pas moins qu’il ne répond pas au critère primordial : LE BESOIN.
De plus, il est bon de rappeler également que l’outil mis en place a été réalisé pour évaluer seulement la frugalité des dispositifs médicaux. Par conséquent, l’analyse concernant le Falcon 9 reste à titre indicatif et permet simplement de montrer que le coût n’est qu’une conséquence et non un critère fondamental. Le principe de frugalité est donc bien à distinguer du modèle “low-tech”.
5.4 Les limites et améliorations de l’outil
Comme tout outil, il présente également quelques limites à son utilisation. En effet, l’innovation frugale reste particulièrement difficile à définir ce qui sous-entend une certaine subjectivité dans les réponses, la pondération et le choix des critères utilisés.
De plus, certains critères demandent une expertise technique qui permettrait de tendre en faveur de résultats quantitatifs et non plus qualitatifs, pour apporter ainsi davantage de robustesse à nos éléments.
En raison de ces limites, certaines pistes d’améliorations pourraient être envisagées, notamment le fait de recourir à d’autres exemples et contre-exemples pour valider la pondération de nos critères et obtenir un indice de frugalité plus représentatif (Figure 34).
Figure 34 : Limites et améliorations envisagées de l’outil (source : auteurs)
6. Conclusion
La frugalité est un concept complexe, particulièrement subjectif. C’est avant tout un état d’esprit, qui bénéficie souvent d’une image péjorative “low tech” et pas cher qu’il convenait de démentir.
En définitive, il s’agit plutôt de se focaliser sur la réponse aux besoins, en évaluant l'environnement de contraintes auquel est soumis l’innovation. Ainsi, le prix n'est finalement qu'une conséquence.
Dans le domaine des dispositifs médicaux, l’innovation est rarement frugale mais plutôt accès sur de nouvelles options, à la recherche constante d’améliorations et de fonctions superflues pour se démarquer de leurs concurrents.
Pour autant, le contexte actuel a mis en évidence la nécessité de se tourner vers des dispositifs médicaux plus frugaux, permettant un accès aux soins à tous les patients.
L’innovation frugale permet ainsi un retour aux fondamentaux en s’affranchissant souvent de l’aspect marketing. L’avenir apparaît ainsi plus propice au développement de ces concepts, qui ôteront le superflu pour ne garder que l'essentiel.
7. Annexes
Annexe 1 : Les 6 principes de la frugalité selon Navi Radjou :
Selon Navi Radjou, l’innovation frugale doit répondre à six principes fondamentaux. En effet, en plus de l’étude des exemples, ses six principes vont ainsi nous permettre de dégager les critères de réussite de la conception frugale d’un dispositif médical.
- Engager et itérer : ce principe fait référence au fait d’agir et de penser de façon flexible, en s’efforçant de placer l’utilisateur, le patient au centre de l’innovation pour cibler son besoin spécifique et ne pas s’intéresser seulement au produit final. C’est une innovation qui doit se focaliser autour du point de vue du client, du patient.
- Flexibiliser et optimiser toutes les ressources : opter pour une méthode agile en formant des équipes polyvalentes et autonomes, tout en faisant des choix stratégiques pour économiser les ressources.
- Régénérer les gens, les lieux et la planète : il est nécessaire d’imaginer des solutions durables, en valorisant une éco-conception. Il peut s’agir de produits biomimétiques ou recyclables.
- Façonner les comportements des clients : un principe qui apparaît comme paradoxal avec la philosophie Jugaad, puisque l’innovation se focalise seulement sur un besoin essentiel. Cependant, l’innovation frugale doit chercher aussi à façonner le comportement du client, en rendant le produit simple d’utilisation et en le transformant à la fois en produit agréable.
- Co créer de la valeur avec les consommateurs acteurs : ce principe repose sur l’hypothèse que de nombreux clients souhaitent être de véritables acteurs et participer à la conception, la production et à la distribution de certains produits ou services. Les clients deviennent à la fois consommateurs et producteurs, ou “consom’acteurs”.
- Hyper collaborer : aller à la rencontre directe de la population concernée et des médecins pour cerner davantage le besoin et les contraintes. Ce principe vise à étendre le plus possible l’application de cette innovation et de la rendre accessible.