• IDS124 - Bonnes pratiques pour une conception frugale d'un dispositif médical

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    Citation

    A rap­pe­ler pour tout usage : Mickaël BOURJAC, Kévin GOUFFAUD, Alan MESMEUR, Maë­va WAXWEILER, « Bonnes pra­tiques pour une concep­tion fru­gale d'un dis­po­si­tif médi­cal », Uni­ver­si­té de Tech­no­lo­gie de Com­piègne (France), Mas­ter Ingé­nie­rie de la San­té, Mémoire de Pro­jet, https://travaux.master.utc.fr/, réf n° IDS124, https://doi.org/10.34746/aemm-ad45, jan­vier 2022, https://travaux.master.utc.fr/formations-master/ingenierie-de-la-sante/ids124/

    Résumé

    Le concept d’innovation fru­gale est de plus en plus pré­sent dans nos vies que ça soit dans l’industrie ou dans le domaine de la san­té, en rai­son notam­ment d’une prise de conscience essen­tielle concer­nant l’épuisement de cer­taines de nos res­sources et de la néces­si­té d’intégrer des enjeux de déve­lop­pe­ment durable.

    Mal­gré ces aspects socio­lo­giques, éco­no­miques et éco­lo­giques, il ne faut pas asso­cier le prin­cipe de fru­ga­li­té au modèle low-cost. En effet, la fru­ga­li­té s’est avant tout inno­ver dans le but de répondre à un besoin immé­diat, en uti­li­sant les res­sources à dis­po­si­tion, s’inscrivant ain­si dans un envi­ron­ne­ment de contraintes qui tend à favo­ri­ser la créa­ti­vi­té pour être un véri­table levier en termes de performance.

    Face à ce concept, l’outil déve­lop­pé per­met de don­ner un score de fru­ga­li­té d’un dis­po­si­tif médi­cal, avant ou pen­dant sa concep­tion et éga­le­ment lors de son exploi­ta­tion, en ciblant les points cri­tiques à améliorer.

    Abstract

    The concept of fru­gal inno­va­tion is more and more impor­tant in our lives, whe­ther in indus­try or in the field of health, because of an essen­tial awa­re­ness concer­ning the deple­tion of some of our resources and the need to inte­grate sus­tai­nable deve­lop­ment issues.

    Des­pite these socio­lo­gi­cal, eco­no­mic and eco­lo­gi­cal aspects, the prin­ciple of fru­ga­li­ty should not be asso­cia­ted with the low-cost model. Indeed, fru­ga­li­ty is above all about inno­va­ting in order to respond to an imme­diate need, using the avai­lable resources, fit­ting into an envi­ron­ment of constraints which tends to pro­mote crea­ti­vi­ty to be a real lever in terms of performance.

    Faced with this concept, the tool deve­lo­ped makes it pos­sible to give a “fru­ga­li­ty” score of a medi­cal device, before or during its desi­gn and also during it’s using, by tar­ge­ting the cri­ti­cal points for improvement.

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    Outil d'autodiagnostic de l'innovation fru­gale sur les dis­po­si­tifs médicaux

    Bonnes pratiques pour une conception frugale 

    d'un dispositif médical

    Avant propos

    Dans le cadre de nos études en Mas­ter 2 Ingé­nie­rie de la San­té à l’Université de Tech­no­lo­gie de Com­piègne, nous avons eu la chance d’étudier le concept de fru­ga­li­té dans son ensemble et appli­qué dans les dis­po­si­tifs médicaux.

    En effet, l’innovation fru­gale en san­té est au cœur d’enjeux consi­dé­rables tant pour les fabri­cants que pour les exploi­tants et, in fine, les patients. L’innovation fru­gale de dis­po­si­tifs médi­caux per­met un plus large accès aux soins rédui­sant de fait, les inéga­li­tés de traitements.

    C’est dans ce contexte que s’inscrit cette étude, por­tant sur les cri­tères de mise en œuvre du modèle d'innovation fru­gale en san­té. Ce mémoire d’intelligence métho­do­lo­gique inter­vient dans un pro­jet d’intégration.

    Remerciements

    Notre groupe tient à remer­cier l’équipe péda­go­gique de l’Université de Tech­no­lo­gie de Com­piègne et plus par­ti­cu­liè­re­ment notre sui­veur Mon­sieur Jean-Mat­thieu Prot. C’est essen­tiel­le­ment grâce à ses conseils, cri­tiques et retours que nous avons pu pour­suivre notre projet.

    Nos remer­cie­ments sont éga­le­ment tour­nés vers Mon­sieur Navi Rad­jou, sur­nom­mé dans la presse “le gou­rou de l'innovation fru­gale", auteur de plu­sieurs livres et articles sur l'innovation fru­gale qui a pris beau­coup de temps pour répondre à nos mails et à nos sollicitations.

    Il est néces­saire de remer­cier le Pr. Armand MEKONTSO DESSAP des Hôpi­taux Uni­ver­si­taires Hen­ri-Mon­dor, Chef du Ser­vice de Méde­cine Inten­sive Réani­ma­tion, qui a pris le temps de nous rece­voir dans son éta­blis­se­ment et qui nous a insuf­flé une vision quelques peu dif­fé­rente de l'innovation fru­gale dans les dis­po­si­tifs médicaux.

    Enfin nous remer­cions nos cama­rades de pro­mo­tions notam­ment pour leurs pré­sences et leurs encou­ra­ge­ments lors des pré­sen­ta­tions orales.

    1. Qu'est-ce-que la frugalité ?

    1.1 Définition et origine

    L’innovation fru­gale est un mou­ve­ment éclai­ré de co-créa­tion de valeurs (...) Il s’agit de déve­lop­per des pro­duits et ser­vices de qua­li­té abor­dables et durables qui ont un impact posi­tif sur la socié­té et la planète.

    RADJOU, Navi. Fru­gal Inno­va­tion. Pro­file Books, 2015.

    A tra­vers les siècles, la fru­ga­li­té s’est déve­lop­pée dans le but de répondre à un besoin immé­diat, avec les res­sources à dis­po­si­tion. On peut citer un grand nombre d'exemples, à l’instar d’Apollo 13. Durant cette mis­sion, un réser­voir d’oxygène a explo­sé, les membres d’équipages ont dû se réfu­gier dans le module lunaire non pré­vu pour héber­ger 4 astro­nautes et ont dû résoudre plu­sieurs pro­blèmes tech­niques à par­tir d’objets limi­tés et de res­sources limi­tées pré­sents dans le module [1]. Il s’agit là d’une concep­tion fru­gale en pre­nant en consi­dé­ra­tion les besoins ain­si que les res­sources disponibles.

    Dans le contexte de la seconde guerre mon­diale, de nou­veaux concepts ont émer­gé comme le “Do it your­self” amé­ri­cain, le “Sys­tème D” fran­çais et le “Control­led Com­mo­di­ty, 1941” anglais. Le CC41 ou le “Control­led Com­mo­di­ty, 1941” est un exemple concret de concept pré-fru­gal. Cette méthode avait pour but de ratio­na­li­ser les besoins deman­dés pour conce­voir un vête­ment sans gas­pillage inutile de res­sources maté­rielles (Nombre de poches sur un man­teau, nombre de bou­tons sur une che­mise) tout en gar­dant une liber­té esthé­tique. L'efficacité de cette méthode à réduire la consom­ma­tion de res­sources sera uti­li­sée jusque dans les années 50 pour évi­ter les pénu­ries de l’après-guerre.

    A la fin des années 50, de nou­velles idéo­lo­gies appa­raissent, March et Simons expliquent qu’un pro­duit inno­vant peut être conçu en absence d’une R&D coû­teuse, de res­sources impor­tantes comme une main d'œuvre qua­li­fiée [2]. Dans ce cas, cette nou­velle inno­va­tion peut pro­ve­nir d’innovations exis­tantes et emprun­tée à d’autres sec­teurs d’activités.

    La fru­ga­li­té a eu un inté­rêt gran­dis­sant au cours des années 2010 [3]–[5]. Des experts ont cher­ché à concep­tua­li­ser le prin­cipe et la défi­ni­tion de l’innovation fru­gale. Ain­si, Navi Rad­jou, expert de l’innovation fru­gale et auteur du “Guide des bonnes pra­tiques”, démontre que l’industrie et l’innovation se foca­lisent à tort sur le “plus avec plus” et le “plus c’est gros mieux c’est” [6]. Or, nous le ver­rons à tra­vers cette étude, le concept de fru­ga­li­té peut se résu­mer de la manière sui­vante : Faire mieux avec moins.

    Le concept de fru­ga­li­té n’a en réa­li­té pas d’origine pré­cise car l’Homme à tra­vers les époques, a dû réa­li­ser des objets à par­tir de tech­no­lo­gies et de res­sources limitées. 

    Figure 1 : Evolution du frugale à l’innovation frugale [source : auteurs]

    L’une des pre­mières défi­ni­tions moderne don­née au terme “inno­va­tion fru­gale” a été défi­nie dans un dos­sier du jour­nal The Eco­no­mist : “not just a mat­ter of exploi­ting cheap labour (although cheap labour helps), it is a mat­ter of rede­si­gning pro­ducts and pro­cesses to cut out unne­ces­sa­ry costs” [7].

    Néan­moins, d’autres défi­ni­tions de l’innovation fru­gale existent. En effet, elle peut être asso­ciée à la reverse inno­va­tion, au concept indien jugaad inno­va­tion ou éga­le­ment au shanz­hai inno­va­tion. D’autres défi­ni­tions peuvent être uti­li­sées comme celle de George déter­mi­nant une inno­va­tion fru­gale comme inno­vante, low-cost et avec des pro­duits de bonnes qua­li­tés [8]. On peut éga­le­ment par­ler des modèles éco­no­miques ori­gi­naires de pays en voie de déve­lop­pe­ment qui peuvent être expor­tés pour d’autres pays. La reverse inno­va­tion peut être  ain­si défi­nie. On peut aus­si retrou­ver dans cette défi­ni­tion de la fru­ga­li­té, la notion de pro­duits low cost, expli­ci­tée selon le point de vue de Rama­mur­ti [9].

    Une autre manière est de défi­nir la fru­ga­li­té est une uti­li­sa­tion éco­no­mique des res­sources pour conce­voir des pro­duits acces­sibles pour les per­sonnes avec un faible reve­nu. La fru­ga­li­té reste donc com­plexe à défi­nir de par son concept récent et les autres formes d’innovations pou­vant avoir une défi­ni­tion proche de celle de la fru­ga­li­té [5].

    1.2 Concept

    Comme expli­qué pré­cé­dem­ment, la démarche fru­gale est d’utiliser les res­sources à dis­po­si­tions pour répondre au besoin dans un envi­ron­ne­ment de contraintes (Figure 2).

    Un pro­duit conçu de manière fru­gale s’appuie sur trois cri­tères prin­ci­paux (une réduc­tion sub­stan­tielle des coûts de pro­duc­tion, une foca­li­sa­tion sur les fonc­tion­na­li­tés essen­tielles et une per­for­mance opti­mi­sée) [10], aux­quels nous pou­vons ajou­ter plu­sieurs autres cri­tères impor­tants que l’on décrit dans le sché­ma suivant : 

    Figure 2 : Les principes de la conception frugale [source : auteurs]

    Récon­ci­lier ce qui ne l’est plus en trou­vant l’équilibre entre l’essentiel et les aspi­ra­tions (Figure 3).

    En effet, comme illus­tré, les élé­ments sont en oppo­si­tion. Une concep­tion fru­gale doit essayer de tous les appré­hen­der sans les occulter.

    Figure 3 : L’équilibre entre l’essentiel et les aspirations [source : auteurs]

    Ain­si, un des prin­ci­paux enjeux de l’innovation fru­gale est le fait de s’inscrire dans une démarche de  déve­lop­pe­ment durable. (voir par­tie 2. Enjeux)

    1.3 Les catégories d'innovations

    L’innovation, dans son terme géné­ral, peut se décom­po­ser en plu­sieurs inno­va­tions  lors de la concep­tion d’un pro­duit [18] (Figure 4):

    • L’innovation incré­men­tale consiste à déve­lop­per un pro­duit à par­tir des tech­no­lo­gies exis­tantes dans un mar­ché déjà exis­tant. Ce concept repré­sente la majo­ri­té des inno­va­tions actuelles. Cette idéo­lo­gie pour­rait se résu­mer par l’amélioration conti­nue d’un produit.
    • L’innovation adja­cente vise à uti­li­ser des tech­no­lo­gies déjà exis­tantes dans un mar­ché pour l’appliquer à un autre mar­ché. Par exemple, les GAFA (entre­prises “stars” qui ont enva­hi notre quo­ti­dien) uti­lisent ce type d’innovations en rache­tant des bre­vets de start-ups pour le trans­fé­rer à leur propre pro­duit ou service.
    • L’innovation de rup­ture ou dis­rup­tive est défi­nie par la concep­tion d’un pro­duit avec de nou­velles tech­no­lo­gies, pro­ces­sus ou modèles com­mer­ciaux dans un mar­ché déjà exis­tant. Cette approche vient remettre en cause le mar­ché en pro­po­sant une alter­na­tive aux autres tech­no­lo­gies actuelles. L’iPhone en est un exemple en réin­ven­tant l’utilisation de la téléphonie.
    • L’innovation radi­cale repose sur le déve­lop­pe­ment d’une nou­velle tech­no­lo­gie entraî­nant des chan­ge­ments pro­fonds dans la socié­té et en créant de nou­veaux mar­chés. Cette inno­va­tion peut être illus­trée par l’invention de l’aviation qui a bou­le­ver­sé nos habi­tudes de voyages ain­si que la pro­duc­tion industrielle.
    Figure 4 : Les 4 grands types d’innovation [19]

    2. La place de l'innovation frugale en santé

    2.1 Le cadre et les pièges à éviter

    Comme expli­ci­té pré­cé­dem­ment, l'innovation fru­gale se charge d’apporter des solu­tions effi­caces et effi­cientes, aux dif­fé­rents pro­blèmes sus­cep­tibles d’être ren­con­trés par une large par­tie de la popu­la­tion en prô­nant une phi­lo­so­phie qui s’engage à uti­li­ser un mini­mum de res­sources pos­sibles. En effet, le sec­teur des dis­po­si­tifs médi­caux est un sec­teur repré­sen­tant en 2020, 90 Mil­liards d’euros en France d'après le SNITEM (Syn­di­cat Natio­nal de l'Énergie des Tech­no­lo­gies Médi­cales), mais aus­si très inégal puisque les pays à faible reve­nu ren­contrent des dif­fi­cul­tés majeures pour répondre aux besoins de leur popu­la­tion, pro­vo­quant un manque consi­dé­rable de dis­po­si­tifs médi­caux adap­tés [11]–[13]

    Ce manque cruel naît du fait que la plu­part de ces dis­po­si­tifs sont pen­sés et éla­bo­rés par de nom­breuses entre­prises occi­den­tales, qui dis­posent en géné­ral de toutes les res­sources néces­saires, et qui repré­sentent à ce jour, la source d’innovation la plus impor­tante. Ces dis­po­si­tifs médi­caux ne sont donc pas tou­jours adap­tés pour être fonc­tion­nels hors de nos mar­chés natio­naux (par exemple en termes d’accès à la l’électricité, à l’eau etc…). Ain­si, cette inno­va­tion fru­gale dans le domaine de la san­té se voit essen­tielle pour pou­voir ten­ter répondre aux dif­fé­rents pro­blèmes et défis de san­té publique que relèvent les pays en voie de déve­lop­pe­ment [14].

    Cepen­dant, même si la fru­ga­li­té est sou­vent asso­ciée à un manque de moyens, ou bien à une réduc­tion des coûts, il est impor­tant de gar­der aus­si à l’esprit que ces inno­va­tions fru­gales ne se limitent pas seule­ment aux milieux pré­caires. En effet, la fru­ga­li­té repré­sente éga­le­ment une manière de faire preuve de créa­ti­vi­té, tout en ayant l’avantage de s'affranchir des contraintes que peuvent impo­ser les struc­tures et en résol­vant les pro­blèmes liés à la stra­té­gie de recherche et développement.

    Au-delà d’un gain de res­sources maté­rielles et éco­no­miques, il peut donc éga­le­ment s’agir d’un véri­table gain de temps qui peut s’avérer par­fois essen­tiel, notam­ment dans des cas de crise sani­taire COVID-19.

    Selon le Pr Mekont­so, on peut défi­nir l’innovation fru­gale par deux notions essen­tielles. La pre­mière notion serait de se foca­li­ser sur le besoin. En effet, pour le défi­nir, il est impor­tant de connaître ce que sou­haite chaque uti­li­sa­teur pour qu’il puisse repré­sen­ter une “réa­li­té” et non un “arti­fice” qui aurait été défi­ni par des notions de mar­ke­ting. En inno­va­tion fru­gale, le besoin ne doit pas être iden­ti­fié selon la dési­ra­bi­li­té d’un pro­duit ou d’une popu­la­tion cible. 

    Une démarche de mise sur le mar­ché d’un nou­veau pro­duit "clas­sique" consiste à obser­ver son poten­tiel puis de défi­nir un prix en fonc­tion des coûts et des marges à adop­ter. Dans le cas de la fru­ga­li­té, le prix est une consé­quence du concept. Ain­si, le low cost n’est qu’une résul­tante de l’innovation fru­gale et non, une spé­ci­fi­ci­té du cahier des charges.

    La fru­ga­li­té doit au contraire prendre en compte l’ensemble des besoins de chaque acteur (for­ma­tion, uti­li­sa­tion, concep­tion, main­te­nance) et faire émer­ger ce qui est essen­tiel. Ce concept est éga­le­ment appe­lé l’innovation décloisonnée.

    La deuxième notion impor­tante en inno­va­tion fru­gale selon le Pro­fes­seur Armand Mekont­so Des­sap est de conce­voir le pro­duit avec des contraintes. Les contraintes per­mettent aux fabri­cants de repen­ser le concept d’un pro­duit rem­plis­sant une fonc­tion. En effet, dans une démarche “clas­sique”, elles sont davan­tage limi­tées par les res­sources (R&D, main d'œuvre, qua­li­fi­ca­tion, ...) que par la fonc­tion du produit.

    Cette vision entraîne une sophis­ti­ca­tion de la solu­tion pro­po­sée pour rem­plir cette fonc­tion. En se foca­li­sant sur des contraintes fortes, le pro­duit sera poten­tiel­le­ment plus dis­rup­tif et sera tour­né vers son effi­ca­ci­té. On peut ima­gi­ner que cela entraî­ne­ra une évo­lu­tion dans les pra­tiques, qui à terme ouvri­ra les portes d’un nou­veau marché.

    Pour illus­trer l’innovation fru­gale, deux exemples peuvent être retenus :

    • La banque Orange Bank Afri­ca : cet exemple d’innovation a pris en compte une contrainte par­ti­cu­liè­re­ment pré­sente dans de nom­breux pays en met­tant en évi­dence que l’accès à une banque se trouve limi­té par un manque d’infrastructures. La solu­tion a été de pro­po­ser des ser­vices acces­sibles par SMS puisque la plu­part de la popu­la­tion pos­sède un télé­phone [15].
    • Le res­pi­ra­teur à faible pres­sion déve­lop­pé par Air Liquide et le CH Hen­ri-Mon­dor :  la concep­tion de ce dis­po­si­tif est inter­ve­nue durant la crise du Covid-19. Dans le cadre de l’urgence sani­taire et du manque de res­pi­ra­teur dans les hôpi­taux, le but était de four­nir un oxy­gé­na­teur haut débit per­met­tant une satu­ra­tion en O2 suf­fi­sante pour évi­ter ou retar­der le pas­sage du patient en réani­ma­tion. Le res­pi­ra­teur devait être simple à pro­duire, peu cher et facile à uti­li­ser pour le per­son­nel [16], [17].

    L’ensemble des études contex­tuelles pré­cé­dentes  a per­mis de com­prendre l’environnement et les enjeux gra­vi­tant autour du sujet et ain­si mettre en exergue la pro­blé­ma­tique suivante : 

    QUELS SONT LES CRITÈRES DE RÉUSSITE POUR ASSURER LA PÉRENNITÉ D’UN DISPOSITIF MÉDICAL FRUGAL ?

    Notre objec­tif est donc de répondre à cette pro­blé­ma­tique en étu­diant des exemples d’innovations fru­gales afin de déga­ger un cer­tain nombre de cri­tères de réus­site (Figure 5). Il sera ensuite ques­tion d’apporter une syn­thèse de manière à per­mettre le déve­lop­pe­ment durable d’un dis­po­si­tif médi­cal frugal.

    Figure 5 : Le processus d’étude à venir [source : auteurs]

    2.2 Les catégories d’innovations frugales en santé

    On peut alors dis­tin­guer plu­sieurs caté­go­ries d’innovations fru­gales [20]

    • Les outils et tech­niques “Lean” (inno­va­tion opti­mi­sée) sont une tech­nique qui vise à sim­pli­fier et à adap­ter les tech­no­lo­gies exis­tantes dans le but de dimi­nuer consi­dé­ra­ble­ment les coûts. Bien sou­vent, ces outils conçus pour les pays à faibles res­sources sont par­fois beau­coup plus ren­tables vis-à-vis de ceux uti­li­sés dans nos pays occi­den­taux, puisqu’ils sont en géné­ral dépour­vus des fonc­tions moins utiles et coûtent ain­si beau­coup moins cher. Dans cette caté­go­rie d’innovation, on peut retrou­ver la grande filiale GE (Gene­ral Elec­tric) avec son chauffe-bébé “Lul­la­by” (Figure 6) qui coûte moins de la moi­tié que ce même dis­po­si­tif ven­du aux Etats-Unis (3000$ en Inde contre 12000$ aux Etats-Unis) mais qui rem­plit en revanche d’autres fonc­tions [21]. En effet, le « Lul­la­by » de chez GE a sou­le­vé quelques défis pour pou­voir pro­po­ser un dis­po­si­tif durable, moins cher, qui résiste aux pannes de cou­rant et qui peut être éga­le­ment uti­li­sé par des uti­li­sa­teurs non for­més. Pour répondre à toutes ces contraintes, les fabri­cants ont sup­pri­mé les fonc­tion­na­li­tés non essen­tielles pour se concen­trer fina­le­ment sur la fonc­tion prin­ci­pale de lutte contre l’hypothermie. Ain­si, GE a choi­si de sim­pli­fier les maté­riaux en rem­pla­çant la com­mande moteur par une mani­velle et une poi­gnée, en ajou­tant une sonde de tem­pé­ra­ture réuti­li­sable, et en sup­pri­mant le sta­bi­li­sa­teur de ten­sion afin que la cou­veuse puisse s’adapter aux contraintes élec­triques des pays émer­gents. Ce pro­duit per­met donc de réduire sa consom­ma­tion en élec­tri­ci­té d’environ 50% par rap­port à un incu­ba­teur traditionnel.
    Figure 6 : Le chauffe-bébé “Lullaby Warmer” de GE [22]
    • Les inno­va­tions oppor­tu­nistes s’appuient sur une uti­li­sa­tion intel­li­gente des tech­no­lo­gies acces­sibles à tous pour s'attaquer aux pro­blèmes exis­tants. On peut par­ler dans ce cas des impri­mantes 3D qui consti­tuent un véri­table enjeu dans l’accès à ces dis­po­si­tifs médi­caux comme des pro­thèses ou bien la concep­tion des pièces de rechange [23]. Les logi­ciels capables d’impression en 3D se font de plus en plus cou­rant et ce dans divers domaines. La san­té, et notam­ment l’orthopédie peut lar­ge­ment pro­fi­ter de ce genre de tech­no­lo­gie afin de conce­voir des plâtres dotés de mul­tiples ouver­tures (Figure 7). Ces mul­tiples ouver­tures offrent de nom­breux avan­tages comme le fait d’être véri­ta­ble­ment plus léger qu’un plâtre tra­di­tion­nel, ils per­mettent aus­si de lais­ser la peau des patients à l’air libre et ain­si de ne pas absor­ber la trans­pi­ra­tion. De plus, au-delà du confort des patients, les pro­fes­sion­nels médi­caux gagnent un temps pré­cieux puisqu’ils n’ont plus à confec­tion­ner et mode­ler eux-mêmes le plâtre.
    Figure 7 : Exemple d’un plâtre réalisé par impression 3D [24]
    • Les adap­ta­tions contex­tua­li­sées qui consistent en une démarche de contour­ne­ment et d’adaptation des tech­niques pour une fina­li­té tota­le­ment dif­fé­rente. On peut prendre l’exemple des ban­de­lettes réac­tives uri­naires dont leur uti­li­sa­tion a été détour­née pour pou­voir éva­luer le liquide cépha­lo-rachi­dien ou le liquide syno­vial et poser un diag­nos­tic à coût moindre. Ou bien on peut aus­si citer le masque décath­lon qui a été détour­né de son uti­li­sa­tion (Figure 8). En effet, le masque décath­lon se pré­sente à l’origine comme un masque uti­li­sé lors de la pra­tique du « snor­ke­ling » (ran­don­née sous-marine). Cepen­dant, lors de la crise sani­taire COVID-19, un méde­cin pro­pose de le détour­ner de son uti­li­sa­tion ini­tiale pour en faire un res­pi­ra­teur. C’est notam­ment grâce à une impri­mante 3D qu’ils a été pos­sible de fabri­quer les rac­cords néces­saires entre le masque et les tubes d’hôpital. Les pièces ont été choi­si de manière à ce qu’elles puissent s’adapter à la plu­part des tuyaux des hôpi­taux [23].
    Figure 8 : Le masque Décathlon avec un embout imprimé en 3D [25]
    • Les inno­va­tions ascen­dantes qui carac­té­risent des idées ori­gi­nales mais très simples pour répondre à des objec­tifs inac­ces­sibles, et sou­vent fon­dées sur des pra­tiques locales. Par exemple, on peut citer la méthode “des soins kan­gou­rou” (Figure 9) qui s’est avé­rée aujourd’hui essen­tielle dans des ser­vices de néo­na­to­lo­gie pour la prise en charge des pré­ma­tu­rés [26]. Cette méthode a été lan­cée en Colom­bie, en rai­son d’un manque réel d’incubateurs et face à un taux éle­vé de mor­ta­li­té néo­na­tales. Les « soins kan­gou­rou » se carac­té­risent par un allai­te­ment exclu­sif et très fré­quent ain­si que la mise en place d’un contact peau à peau pré­coce et pro­lon­gé entre la maman et son bébé. Cette méthode mère-kan­gou­rou a mon­tré de nom­breux bien­faits comme, la sta­bi­li­sa­tion de son rythme car­diaque et res­pi­ra­toire, une meilleure régu­la­tion ther­mique, la dimi­nu­tion de la fré­quence de ses apnées et des risques d’infection, etc… 
    Figure 9 :  La méthode Kangourou [27]

    Néan­moins, l’un des pro­blèmes majeurs de la fru­ga­li­té, réside dans le fait que de nom­breuses inno­va­tions fru­gales res­tent uni­que­ment dif­fu­sées à une échelle locale et non mon­diale. Ceci limite donc consi­dé­ra­ble­ment l’accès et l’utilisation de toutes ces inno­va­tions, s’avérant être utiles et pou­vant être élar­gies dans de nom­breuses situa­tions pour répondre aux objec­tifs majeurs de san­té publique.

    2.3 Les limites de la frugalité

    2.3.1 Limites réglementaires 

    Pour rap­pel, tout dis­po­si­tif médi­cal dans l’Union Euro­péenne est sou­mis au mar­quage CE Règle­ment (UE) 2017/745 du 5 avril 2017 ain­si que la norme NF EN ISO 13485:2016 (pré­somp­tion de preuve) décri­vant un cycle de vie bien spé­ci­fique, qui défi­nit un cer­tain nombre d’étapes clés, syn­thé­ti­sées dans la Figure 10. En pre­mier lieu, il s’agit de défi­nir des exi­gences de concep­tion qui sont pré­ci­sées selon une régle­men­ta­tion de com­mer­cia­li­sa­tion et le res­pect de dif­fé­rentes normes et exi­gences. Une fois cette étape réa­li­sée, il s’agit alors de pas­ser à l’étape de concep­tion du dis­po­si­tif médi­cal et du pro­to­ty­page, en pré­pa­rant un dos­sier de fabri­ca­tion du pro­to­type en vue de la pré­pa­ra­tion des études pré­cli­niques. Ensuite, suit l’étape de fabri­ca­tion et d’industrialisation qui néces­site l’obtention d’un mar­quage CE, auprès d’organismes noti­fiés, et une éva­lua­tion du rem­bour­se­ment pour pou­voir pour­suivre la mise sur le mar­ché. Après cette mise sur le mar­ché, l’étape de sur­veillance du dis­po­si­tif médi­cal est une étape pri­mor­diale pour main­te­nir ou non le main­tien du mar­quage CE.

    Figure 10 : Le cycle de vie du dispositif médical [28]

    On s’aperçoit donc d’ores et déjà que le sec­teur des dis­po­si­tifs médi­caux met en jeu de nom­breux acteurs et de nom­breux règle­ments et normes, qui vont consti­tuer une limite majeure à l’innovation fru­gale dans nos pays euro­péens afin d’en assu­rer la qua­li­té et la sécurité. 

    2.3.2 Les limites spatio-temporelles

    La fru­ga­li­té per­met d’innover dans des contextes par­ti­cu­liers. L’environnement socio-éco­no­mique peut sti­mu­ler l’innovation fru­gale. Dans le cas des pays émer­gents, la pré­sence d’une popu­la­tion ayant un taux de pau­vre­té supé­rieur aux pays occi­den­taux empêche l’accès de cer­tains ser­vices ou pro­duits. L’Inde fait par­tie des plus grands pour­voyeurs de solu­tions fru­gales. Ain­si, la popu­la­tion indienne, comme vue dans l’exemple d’Embrace, peut obte­nir grâce à des pro­duits et des ser­vices fru­gaux, de nou­velles fonc­tion­na­li­tés qui seraient trop coû­teuses dans le cas d’un pro­duit ou d’un ser­vice sim­ple­ment innovant.

    Cepen­dant, ces solu­tions ne sont pré­sentes qu’à l’échelle d’un pays dans le meilleur des cas. La fru­ga­li­té reste com­pli­quée à expor­ter dans le sens où les entre­prises qui déve­loppent des pro­duits fru­gaux sont blo­qués par le contexte socio-éco­no­mique. Les besoins qu’apportent un pro­duit fru­gal est adap­té à une culture, à la pré­sence de res­sources par­ti­cu­lières mais éga­le­ment aux besoins immé­diats lors d’une crise sani­taire comme le Covid-19. La pan­dé­mie du Covid-19 a per­mis par exemple d’assouplir les exi­gences régle­men­taires cli­niques dans le cadre des vac­cins mais éga­le­ment dans le déve­lop­pe­ment de nou­veaux res­pi­ra­teurs fru­gaux comme le masque Décath­lon. Il y a donc une limite à l’innovation fru­gale en termes de zone géo­gra­phique et du contexte socio-éco­no­mique voire poli­tique dans lequel ces pro­duits voient le jour. Mal­gré ces limites, l’open source semble être une voie intéressante.

    2.3.3 Les limites idéologiques et économiques

    Une autre limite à abor­der est le droit de pro­prié­té intel­lec­tuelle. Lors­qu’ une entre­prise sou­haite conce­voir un pro­duit fru­gal, la concur­rence peut être impor­tante. Dans ce contexte, un para­doxe peut être pré­sent. Une entre­prise a besoin de pro­té­ger ces idées inno­vantes pour déve­lop­per son pro­duit et sa socié­té serei­ne­ment. D’autre part, une entre­prise fru­gale cherche avant tout à pro­po­ser un pro­duit abor­dable au plus grand nombre en ayant des marges de ren­ta­bi­li­té faible ce qui peut jouer sur la soli­di­té et la péren­ni­té de la socié­té et de leurs pro­duits fru­gaux. La crainte de par­ta­ger son inno­va­tion fru­gale peut créer une réti­cence à s’engager dans la voie de la frugalité.

    L’open source ou l'hyper col­la­bo­ra­tion est une solu­tion envi­sa­gée pour pal­lier cette limi­ta­tion éco­no­mique. L’open source rentre dans une démarche éthique de la fru­ga­li­té qui consiste à pro­po­ser des pro­duits fru­gaux sans res­tric­tion de droits d’auteurs, de manière à étendre leur accessibilité.

    Il s’agit d’une voie inté­res­sante pour per­mettre une uti­li­sa­tion éten­due d’un pro­duit fru­gal. Le masque Décath­lon, adap­té à une uti­li­sa­tion bio­mé­di­cale durant la crise du Covid-19, en est un par­fait exemple. Les plans de l’adaptateur per­met­tant de le bran­cher à un ven­ti­la­teur d’anesthésie ont été mis à dis­po­si­tion en open source.

    A par­tir des plans 3D, la fabri­ca­tion de l’adaptateur peut être effec­tuée n’importe où dans le monde, à moindre coût, per­met­tant ain­si de lut­ter contre la crise sani­taire mondiale.

    Mais l’innovation en open source ne s'arrête pas là. Si l’on pour­suit cet exemple, quatre pro­jets en open source ont vu le jour autour de l’adaptation du masque décath­lon à usage médi­cal. Ceux-ci vont de la créa­tion d’une pièce per­met­tant l'intégration de lunettes de vue jusqu’à une solu­tion d'interphonie filaire avec les sché­mas élec­tro­niques asso­ciés libres de droits (Figure 11).

    Tous les plans, réa­li­sés en open source, ou hyper col­la­bo­ra­tion, sont donc acces­sibles par­tout et par tous. Il s’agit là d’un exemple de concep­tion fru­gale de dis­po­si­tifs médicaux.

    Figure 11 : Déclinaisons du masque Décathlon en Open Source [29]

    3. Les enjeux de l'innovation frugale

    Pour com­prendre davan­tage les enjeux liés à l’innovation fru­gale, il est néces­saire avant tout de cer­ner les dif­fé­rents acteurs concer­nés par ce concept inno­vant. En effet, dans le sec­teur bio­mé­di­cal, on peut citer deux familles d’acteurs prin­ci­paux avec d’un côté les fabri­cants et de l’autre les exploi­tants, sans oublier les patients qui sont pla­cés au centre de ce trio, puisque les fabri­cants et exploi­tants tra­vaillent ensemble au ser­vice du patient (Figure 12).

    Figure 12 : Les acteurs [source : auteurs]

    3.1 Des enjeux économiques

    3.1.1 Pour les fabricants

    Pour dimi­nuer ses coûts de pro­duc­tion, une entre­prise doit dis­po­ser de res­sources fiables et dis­po­nibles. En adap­tant les concepts d’innovation fru­gale, le fabri­cant va pri­vi­lé­gier une res­source abon­dante et dis­po­nible qui ne para­ly­se­ra pas sa chaîne de pro­duc­tion [30].

    Une entre­prise qui sou­haite rem­por­ter des appels d’offres se doit d’intégrer une dimen­sion éco­lo­gique dans son pro­ces­sus de fabri­ca­tion et/ou de livrai­son et de main­te­nance. En effet, avec l’attribution d’un nombre de points pour le déve­lop­pe­ment durable dans un mar­ché public, une entre­prise qui pra­tique l’innovation fru­gale obtien­dra néces­sai­re­ment un meilleur score qui per­met­tra de se dis­tin­guer des autres concur­rents [31].

    L’effet per­vers étant qu’un dis­po­si­tif fru­gal par défi­ni­tion a voca­tion à se renou­ve­ler moins sou­vent avec le risque de dimi­nuer ses ventes. Le Fabri­cant peut ne pas être ten­té par l'innovation fru­gale et y pré­fé­rer l’obsolescence pro­gram­mée [32].

    L’entreprise pour­rait éga­le­ment entre­voir une aubaine finan­cière en sou­hai­tant conqué­rir un nou­veau mar­ché por­teur sans pour autant adhé­rer au concept, en se suf­fi­sant à faire du “fru­gal­wa­shing” (par ana­lo­gie au Green­wa­shing : éco­blan­chi­ment) [33].
    Que ça soit par convic­tion,  ou pour répondre à une néces­si­té de mar­ché, l'entreprise peut inté­grer l’innovation fru­gale pour aug­men­ter ses ventes qui répon­dront aux besoins des consom­ma­teurs com­men­çant à  deve­nir fru­gaux [34].

    3.1.2 Pour les exploitants

    Dans son exploi­ta­tion, une entre­prise, un éta­blis­se­ment de san­té, qu'il soit pri­vé ou public, doit tenir son budget. 

    Depuis les créa­tions des Grou­pe­ments Hos­pi­ta­liers de Ter­ri­toire (GHT), les éta­blis­se­ments qui en font par­tie doivent réa­li­ser des Gains d’achats, mais aus­si des gains d’exploitation expli­ci­tés sous formes de rap­ports annuels. 

    Dans les com­mandes publiques,  il est facile de géné­rer une éco­no­mie en aug­men­tant le volume, puisque le GHT com­mande pour tout le monde, ain­si on obtient géné­ra­le­ment un meilleur prix. (Exemple : 10 000 couches à 1€, 50 000 à 0.86€).

    Le dis­po­si­tif médi­cal étant un mar­ché spé­ci­fique, le gain sur le volume est sou­vent négligeable.Un dis­po­si­tif fru­gal par défi­ni­tion sera sou­vent moins cher à l’achat ou moins cher à l’exploitation voire les deux. Il y a donc un réel inté­rêt pour l’exploitant de se tour­ner vers un dis­po­si­tif fru­gal avec lequel il géné­re­ra très pro­ba­ble­ment des éco­no­mies non pas par le volume mais  en inves­tis­se­ment et en exploi­ta­tion [35]. Enfin, le dis­po­si­tif ayant voca­tion à durer plus long­temps, l’exploitant le rem­pla­ce­ra plus tard et géné­re­ra des éco­no­mies sur son bud­get  d'investissement. 

    3.2 Des enjeux sociaux

    La pan­dé­mie du Covid-19 a lit­té­ra­le­ment bou­le­ver­sé les habi­tudes des pro­fes­sion­nels, et les éta­blis­se­ments de san­té et entre­prises pri­vées ont été les pre­miers tou­chés et les pre­miers contraints à repen­ser leur façon de pro­cé­der dans le but d’être effi­caces pour venir en aide à un maxi­mum de patients. En effet, durant cette crise sani­taire, les patients ont cruel­le­ment man­qué de dis­po­si­tifs médi­caux et de consom­mables. Ain­si, un nombre consi­dé­rable d’initiatives ori­gi­nales ont pu voir le jour pour résoudre les problèmes.

    "La contrainte a boos­té l’innovation fru­gale"

    RADJOU, Navi. L'innovation fru­gale - Navi Rad­jou. 31 Juillet 2020. You­tube[34].

    En dehors de la crise, qui a mis en lumière l’innovation fru­gale, le prin­ci­pal enjeu pour le patient a tou­jours été et sera tou­jours la pré­oc­cu­pa­tion de sa santé. 

    Par consé­quent, le concept d’innovation fru­gal per­met­tra de four­nir plus faci­le­ment et plus rapi­de­ment un dis­po­si­tif médi­cal pour répondre aux besoins de san­té public. 

    Une approche fru­gale peut ain­si per­mettre d'effectuer de meilleurs soins en uti­li­sant le moins de res­sources pos­sibles pour les patients les plus gra­ve­ment malades [36]

    A titre d’exemple, la cou­veuse EMBRACE Nest a sau­vé près de 200 000 bébés pré­ma­tu­rés dans plus de 20 pays depuis 2008 [37].

    Figure 13 : La couveuse EMBRACE Nest [38]

    3.3 Des enjeux écologiques

    Dans un ave­nir incer­tain, tant sur le plan cli­ma­tique que socio-éco­no­mique,  la stra­té­gie des entre­prises en géné­ral, comme des éta­blis­se­ments de san­té, est d’évoluer de plus en plus rapi­de­ment sans oublier le res­pect de l'environnement (Figure 14). L’innovation fru­gale y repré­sente un véri­table levier en répon­dant effi­ca­ce­ment aux pro­blé­ma­tiques de coupe bud­gé­taire et d'optimisation des res­sources [39].

    Figure 14 : Le triptyque du développement durable [source : auteurs]

    Les enjeux de la concep­tion fru­gale répondent au trip­tyque du déve­lop­pe­ment durable. En effet, l’essence même de la fru­ga­li­té est la coexis­tence de ces dif­fé­rents enjeux. L'Organisation Mon­diale de la San­té (OMS) syn­thé­tise d’ailleurs ce triple enjeu sous la forme de 17 points cru­ciaux. Cette syn­thèse se charge de rap­pe­ler ces défis liés au déve­lop­pe­ment durable dans tous les pays, comme le cli­mat, la pau­vre­té, l’eau, l’énergie, etc, et par consé­quent, la tota­li­té de ces points cru­ciaux se retrouvent invrai­sem­bla­ble­ment liés à la concep­tion fru­gale qui sou­haite s’inscrire dans un envi­ron­ne­ment durable pour tous en rédui­sant le prin­cipe de sophis­ti­ca­tion. L’innovation fru­gale se veut res­pec­tueuse de l'environnement en pro­po­sant des pro­duits plus simples avec des pièces faci­le­ment récu­pé­rables pour pou­voir offrir une plus longue durée de vie au pro­duit.  Ces prin­cipes sont donc en par­faite har­mo­nie avec l’idée de pla­cer la concep­tion fru­gale au cœur d’une éco­no­mie circulaire. 

    Il est évident que la majo­ri­té des indi­ca­teurs alertent sur un réchauf­fe­ment pla­né­taire et une raré­fac­tion des res­sources. Ain­si, il devient plus que jamais néces­saire de les éco­no­mi­ser [40]. L'innovation fru­gale se veut donc éco­lo­gique, par­ti­cu­liè­re­ment si on la com­pare avec son équi­valent non frugal.

    Figure 15 : Des déchets électroniques dans une décharge africaine  [41]

    En France, depuis le 1er Jan­vier 2021,  l'affichage obli­ga­toire d’un indice de répa­ra­bi­li­té est ins­ti­tué par l’article 16-I de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 de lutte contre le gas­pillage et pour l’économie cir­cu­laire, pour les dis­po­si­tifs élec­tro­niques. Une note sur dix informe le consom­ma­teur de l’indice de répa­ra­bi­li­té des produits. 

    Ces cri­tères sen­si­bi­lisent les consom­ma­teurs en orien­tant leurs com­por­te­ments d’achat vers des pro­duits plus faci­le­ment réparables.

    Il consti­tue un outil fru­gal de lutte contre l’obsolescence pour évi­ter la mise au rebut des pro­duits et pré­ser­ver davan­tage les res­sources néces­saires à leur conception. 

    En 2024, la loi pré­voit que cet indice devient un indice de dura­bi­li­té avec notam­ment  des nou­veaux cri­tères de  fia­bi­li­té et de robus­tesse [42].

    4. Des exemples d'innovations et de dispositifs médicaux frugaux

    4.1 Les échecs d'innovations frugales

    4.1.1 La Tata mobile : des problèmes de fiabilité et de sécurité

    Figure 16 : Un voiture Tata Nano en train de brûler [43]

    En 2008, lors du 9ème salon indien de l’automobile, la Tata Nano sub­ju­gua la plu­part des obser­va­teurs du monde entier, en se pré­sen­tant comme un véhi­cule low tech à par­tir de 1500$. Annon­cée comme la nou­velle coc­ci­nelle, la voi­ture du peuple pré­cé­dait la révo­lu­tion fru­gale des véhi­cules, avec un prix d’appel de 1500$, bou­le­ver­sant le monde auto­mo­bile. Une phi­lo­so­phie « fru­gale » du véhi­cule fai­sant écho au suc­cès de DACIA.

    Ce petit prix est notam­ment ren­du pos­sible grâce à la réuti­li­sa­tion d’une majo­ri­té des pièces asso­ciées, à l’utilisation de pan­neaux en plas­tique pour gagner du poids et éga­le­ment grâce au moteur 2 cylindres qui se trouve être plus petit que pour cer­taines motos.

    Pour autant, dès sa sor­tie, le véhi­cule pré­sente des pro­blèmes de fia­bi­li­té en rai­son de nom­breux épi­sodes mar­quants de com­bus­tion spon­ta­née (Figure 16).

    Fina­le­ment, le suc­cès et l’engouement pour la Tata Nano se voit éphé­mère, puisque ce véhi­cule low-cost ne rem­porte pas la moindre étoile au crash test. Ce qui rend impos­sible la com­mer­cia­li­sa­tion de cette voi­ture dans l’Union Euro­péenne et les États-Unis. De plus, la tata Nano a mal­heu­reu­se­ment été for­te­ment asso­cié à une « voi­ture bon mar­ché », ce qui n’attire pas les consom­ma­teurs à faible reve­nu, qui sont mal­gré tout eux aus­si à la recherche d’un pro­duit de qua­li­té. Ain­si, la forte asso­cia­tion de la voi­ture au “véhi­cule du pauvre" n’a pas aidé à déve­lop­per les ventes [44], [45].

    Aujourd’hui on peut donc s'interroger quant à l'échec de la Tata Nano. Mal­gré ces quelques cri­tères qui répondent au prin­cipe de fru­ga­li­té, un dis­po­si­tif d’innovation fru­gale avec un faible coût n’est pas syno­nyme de réus­site, ni même une assu­rance en matière de sécu­ri­té (Figure 17).

    Figure 17 : Bilan de l’analyse de frugalité de la Tata Nano (source : auteurs)

    4.1.2 Le respirateur "Usine à gaz": des fonctions secondaires trop complexes

    Figure 18 : Le respirateur “Usine à Gaz”

    Il est dif­fi­cile d’obtenir des infor­ma­tions offi­cielles de cet échec com­mer­cial. Les infor­ma­tions sui­vantes pro­viennent de sources ano­nymes et d'expériences professionnelles.

    L'entreprise X décide de déve­lop­per un nou­veau res­pi­ra­teur « HIGH TECH » (Figure 18), un res­pi­ra­teur en appa­rence de CHU, acces­sible pour tous, avec des fonc­tion­na­li­tés révolutionnaires.

    Il avait de nom­breux points forts dont son auto­no­mie qui repré­sente un véri­table gain de temps pour les anes­thé­sistes qui n’avaient désor­mais plus besoin d’intervenir sur cer­tains réglages de para­mètres, puisque ceux-ci avaient la capa­ci­té de se modi­fier et s’ajuster auto­ma­ti­que­ment. Ce res­pi­ra­teur était aus­si très poly­va­lent et pos­sé­dait de nom­breuses fonc­tions capables d’améliorer la prise en charge du patient, notam­ment grâce à une admi­nis­tra­tion médi­ca­men­teuse opti­mi­sée qui évi­tait les sur­doses et réveils com­pli­qués après l’intervention (Figure 19).

    De plus, ce pro­duit se sou­ciait éga­le­ment de l’empreinte éco­lo­gique en dimi­nuant l’émission de gaz à effet de serre des agents halo­gé­nés. Par ailleurs, les consom­ma­tions en agent anes­thé­sique et oxy­gène étaient lar­ge­ment dimi­nuées ce qui per­met­tait de réduire le coût uni­taire des pro­cé­dures d’anesthésie. Mal­gré tout cela, le dis­po­si­tif en lui-même était très chère, envi­ron le double du prix des concur­rents (Figure 19).

    En dépit de ces avan­tages cer­tains, ce dis­po­si­tif médi­cal a très vite eu une mau­vaise répu­ta­tion. Les ingé­nieurs d’applications res­taient en moyenne deux fois plus long­temps pour for­mer les uti­li­sa­teurs.  Si bien que l’entreprise X face à cet échec com­mer­cial a fait rapi­de­ment évo­luer son res­pi­ra­teur en pré­sen­tant une ver­sion moins auto­ma­ti­sée, moins chère et beau­coup moins complexe.

    Aujourd’hui, avec une prise de recul suf­fi­sante, on peut pen­ser que ce dis­po­si­tif était à prio­ri sans aucun doute inno­vant, peut-être même en avance sur son temps, pour autant, ce res­pi­ra­teur ne sem­blait pas répondre aux besoins de l’anesthésiste et son uti­li­sa­tion n’était pas intui­tive. Fina­le­ment, après cet échec, les besoins ont été pris en compte sur une nou­velle ver­sion du res­pi­ra­teur « usine à gaz », le concep­teur a pro­po­sé une inter­face plus intui­tive, sup­pri­mé des fonc­tions non essen­tielles et dimi­nué son prix, ain­si le dis­po­si­tif médi­cal est deve­nu un suc­cès com­mer­cial dans toute l’Europe.

    Figure 19 : Bilan de l’analyse de frugalité du respirateur "usine à gaz" (source : auteurs)

    4.2 Les succèes d'innovations frugales

    4.2.1 La voiture Logan : des pièces réutilisées et un besoin identifié

    Figure 20 : La voiture Logan de Dacia [46]

    “L’épopée” com­mence en 1995, avec une idée de concept de voi­ture fru­gale (Figure 20). Un des pre­miers véhi­cules de cet époque sym­bo­li­sant cette inno­va­tion majeure est la Logan, fon­dée sur une stra­té­gie de rup­ture qui contri­bue encore aujourd’hui lar­ge­ment au suc­cès du groupe. Renault s’est lan­cée dans cette aven­ture affron­tant les obs­tacles et les sur­prises qui l’ont jalon­née pour deve­nir un suc­cès. Pour par­ve­nir à la construc­tion de ce pro­duit, Renault a réuni une équipe de desi­gners fran­çais, qui avaient le sens du desi­gn haute gamme, et des ingé­nieur rou­mains, qui eux étaient sou­cieux des coûts.

    La Logan a sur­mon­té les pro­blé­ma­tiques indus­trielles, éco­no­miques, géo­po­li­tiques et sociales de por­tée géné­rale, qui concernent l’industrie auto­mo­bile mais aus­si l’ensemble de nos orga­ni­sa­tions économiques.

    Dacia a mis en lumière une voie alter­na­tive en matière d’offre de com­mer­cia­li­sa­tion et sur­tout de modèle rap­pe­lant sur beau­coup de points les prin­cipes de l’innovation fru­gale. Dacia est un suc­cès, tout d'abord pour son faible coût (6000$), mais pas uniquement.

    La stra­té­gie de Renault de réuti­li­ser les pièces et acces­soires des modèles plus anciens qui ont fait leurs preuves, par­ti­cipe gran­de­ment à la fia­bi­li­té de la Logan. Les ingé­nieurs ont fait le choix de réduire le nombre total des pièces en choi­sis­sant par exemple de faire un tableau de bord mou­lé d’une seule pièce, afin de limi­ter l’utilisation de matières pre­mières et de faci­li­ter l’assemblage des pièces.

    La voi­ture pos­sède une durée de vie supé­rieure, n’a pas beau­coup de dys­fonc­tion­ne­ment et uti­lise des pièces que l’on peut faci­le­ment retrou­ver par­tout. Le coût d'entretien, avec la main d'œuvre com­prise, est éga­le­ment lar­ge­ment dimi­nué aujourd’hui encore en rap­port aux autres marques (Figure 21) [46], [47].

    Ain­si, cette voi­ture ne pos­sède ni gad­get ni d’électronique embar­quée et répond par­fai­te­ment aux besoins de mul­tiples consom­ma­teurs, qui ne sou­haitent qu’un véhi­cule simple et sécu­ri­sé, sans arti­fices, pour pou­voir se dépla­cer. Tous ces avan­tages font de la Logan, une voi­ture simple, peu coû­teuse et faci­le­ment répa­rable. La Logan, qui au départ était à des­ti­na­tion des pays à faibles reve­nus, a fina­le­ment séduit plus d’un consom­ma­teur Euro­péen (Figure 22).

    Figure 21 : Comparaison des tarifs de la main-d'œuvre en fonction du véhicule [47].
    Figure 22 : Bilan des critères de réussite de frugalité issus de la voiture Logan (source : auteurs)

    4.2.2 Embrace : un besoin essentiel et une population ciblée

    L’incubateur Embrace a été conçu et pen­sé par un groupe d’étudiants de l’université de Stan­ford lors d’un cours dédié à la concep­tion de pro­duits acces­sibles à des per­sonnes ne pou­vant pas dépen­ser plus de 1$ par jour. Ces étu­diants ont choi­si de répondre à une pro­blé­ma­tique majeure de san­té publique, qui concerne la nais­sance d’enfants pré­ma­tu­rés. En effet, la pré­ma­tu­ri­té est un phé­no­mène qui touche tous les pays, avec près de 15 mil­lions de bébés pré­ma­tu­rés qui naissent chaque année [48]

    Cepen­dant, ces nais­sances pré­ma­tu­rées sont répar­ties de manière très inégales puisque les pays en voie de déve­lop­pe­ment res­tent fina­le­ment les pre­miers concer­nés par cette pro­blé­ma­tique, avec un taux de mor­ta­li­té bien plus éle­vé : plus de 90% des pré­ma­tu­rés nés dans un pays à faible reve­nu (comme l’Inde) décèdent dès leurs pre­miers jours de vie sou­vent en rai­son d’une hypo­ther­mie, contre moins de 10% dans des pays à reve­nu éle­vé [48].

    Les étu­diants de Stan­ford ont alors pen­sé en pre­mier lieu à conce­voir une cou­veuse plus légère et plus acces­sible en termes de prix. Or, c’est lors d’un voyage au Népal et après avoir lon­gue­ment dis­cu­té avec la popu­la­tion et les méde­cins que les étu­diants ont pu réel­le­ment défi­nir les uti­li­sa­teurs finaux et les contraintes asso­ciées à cette inno­va­tion. Ils se sont ain­si ren­du compte que les hôpi­taux ne man­quaient pas néces­sai­re­ment d’incubateurs dans leur ser­vice, mais qu’ils se trou­vaient pour­tant tous vides, en rai­son notam­ment d’un manque de tech­ni­ciens qua­li­fiés pour répa­rer ces dis­po­si­tifs. Leur pre­mier pro­to­type ne cor­res­pon­dait fina­le­ment pas aux besoins de la popu­la­tion puisque la plu­part des nais­sances, en Inde, se font dans des zones rurales ou une grande par­tie de la popu­la­tion n’a ni accès aux trans­ports, ni à l'électricité, ce qui rend les dépla­ce­ments jusqu’à l’hôpital très com­pli­qués. Les étu­diants ont alors chan­gé de point de vue et ont déci­dé de pla­cer la mère au centre des besoins en créant un incu­ba­teur à usage domes­tique, capable de fonc­tion­ner sans élec­tri­ci­té, faci­le­ment trans­por­table et bien sûr éga­le­ment peu coû­teux. Et tout cela dans le but de gar­der le bébé au chaud dans des zones rurales suf­fi­sam­ment long­temps pour que celui-ci puisse être trans­por­té jusqu’à l’hôpital [37].

    Cet incu­ba­teur, appe­lé Embrace, res­semble à un mini sac de cou­chage équi­pé d’une poche de maté­riau à chan­ge­ment de phase (la paraf­fine) capable de main­te­nir une tem­pé­ra­ture de 37°C suf­fi­sam­ment long­temps (jusqu’à 4h). Ce maté­riau peut ensuite être plon­gé dans une cas­se­role d’eau bouillante pour pou­voir être réchauf­fé et réuti­li­sé [37]

    Embrace ras­semble donc de nom­breux cri­tères essen­tiels pour la mise en œuvre des bonnes pra­tiques d’une concep­tion fru­gale (Figure 23). Il répond à un besoin essen­tiel en ayant ciblé par­fai­te­ment l’utilisateur final et ses contraintes exis­tantes (notam­ment l'électricité). Il est éga­le­ment beau­coup plus intui­tif à uti­li­ser que les incu­ba­teurs tra­di­tion­nels et s'associe par­fai­te­ment avec la démarche de soins kan­gou­rou pré­co­ni­sée pour le soin des pré­ma­tu­rés. De plus, son coût repré­sente seule­ment 1% du prix d’une cou­veuse tra­di­tion­nelle (20 000$ pour un incu­ba­teur tra­di­tion­nel contre 25$ pour l'incubateur Embrace). Cet incu­ba­teur a déjà sau­vé plus de 350 000 vies depuis 2011, l’année où le pro­duit est lan­cé, avec l’ambition d’atteindre le mil­lion d’ici 2026 [49]

    Figure 23 : Bilan des critères de réussite de frugalité issus de l’incubateur Embrace (source : auteurs)

    4.2.3 Le lanceur réutilisable Falcon 9 de SpaceX

    Il est dif­fi­cile d'imaginer que Fal­con 9, le lan­ceur à 62 Mil­lions de Dol­lars de la socié­té Spa­ceX soit une inno­va­tion fru­gale (Figure 24).

    Pour­tant, mal­gré son coût, la socié­té d’Elon Musk a bien créé une “fusée réuti­li­sable'' répon­dant par­fai­te­ment aux besoins de la Nasa à savoir un lan­ceur per­met­tant d'abaisser for­te­ment le prix des mises en orbite grâce à des coûts de fabri­ca­tion modé­rée, et à la récu­pé­ra­tion et la réuti­li­sa­tion des étages de sa fusée.

    Cet exemple illustre le fait que le prin­ci­pal cri­tère d'innovation fru­gale est bien de créer dans les contraintes un dis­po­si­tif répon­dant aux besoins.

    On peut donc voir dans cet exemple que le prix de concep­tion n’est qu’une consé­quence et qu’il ne doit pas for­cé­ment être minime pour être frugal.

    Figure 24 : Atterissage en “Suicide Burn” du lanceur Falcon

    Le lan­ceur tombe le plus vite pos­sible et déclenche au der­nier moment sa com­bus­tion “sui­cide burn” avec juste la quan­ti­té de car­bu­rant dont il a besoin, si bien qu’une fois que le dis­po­si­tif est posé, “il n’y a plus une goutte” de car­bu­rant [50]–[52].

    Le lan­ceur Fal­con 9 repré­sente donc un véri­table défi d’innovation fru­gale, que Space X a par­fai­te­ment su rele­ver en four­nis­sant une fusée réuti­li­sable mal­gré un envi­ron­ne­ment de contraintes impor­tant (Figure 25).

    Figure 25 : Bilan des critères de réussite de frugalité issus du lanceur Falcon 9 (source : auteur)

    4.3 Le M.U.R, un exemple en demi-teinte : un travail collaboratif et une production simple, mais des techniques essentielles manquées 

    Récem­ment, un pro­jet col­la­bo­ra­tif du nom de MUR - Mini­mal Uni­ver­sal Res­pi­ra­tor a pu voir le jour (Figure 26). Ce pro­jet a débu­té dans l’urgence de la pan­dé­mie du Covid avec le besoin impor­tant en termes de res­pi­ra­teur arti­fi­ciel. Le but de ce pro­jet est de déve­lop­per un res­pi­ra­teur pou­vant être pro­duit faci­le­ment, à bas coût et deman­dant un faible niveau de for­ma­tion pour les uti­li­sa­teurs. Pour cela, le pro­to­type est consti­tué de boi­tiers de contrôle phy­sique, d’un cap­teur baro­mé­trique, de filtres à char­bon, de valves impri­mées en 3D et d’une carte élec­tro­nique. Ce dis­po­si­tif per­met de répondre au besoin immé­diat tout en pre­nant en compte les contraintes liées au manque de matériel.

    Ce sont tous ces dif­fé­rents para­mètres qui per­mettent de carac­té­ri­ser ce dis­po­si­tif médi­cal comme fru­gal. Ce res­pi­ra­teur met aus­si en évi­dence l’avantage de l’open source qui apporte un enga­ge­ment et une trans­dis­ci­pli­na­ri­té dans le déve­lop­pe­ment d’un pro­duit fru­gal (Figure 28).

    Figure 26 : Respirateur M.U.R. - Minimal Universal Respirator

    Au pre­mier abord, ce pro­jet repré­sente un exemple de fru­ga­li­té. Cepen­dant, après avoir dis­cu­té avec un pro­fes­sion­nel de la réani­ma­tion, ce pro­duit serait peu utile car n’ayant pas les carac­té­ris­tiques tech­niques essen­tielles atten­dues par un res­pi­ra­teur. Mal­gré le manque d’investigation sur ce DM, cet exemple montre l’importance de défi­nir les fonc­tions essen­tielles en répon­dant aux besoins. Des concepts comme la low tech ou le low cost doivent être une consé­quence de la fru­ga­li­té et non une fina­li­té [53], [54].

    Ce constat concer­nant le M.U.R fait d’ailleurs l’objet d’une mise à jour du dis­po­si­tif de manière à répondre à l’ensemble des besoins expri­més. En effet, une mise à jour est à l’étude avec un réel réglage de la PEP (pres­sion expi­ra­toire positive).

    Figure 27 : Vers une nouvelle version du M.U.R [53]

    Figure 28 : Bilan de l’analyse de frugalité du M.U.R (source : auteurs)

    4.4 Présentation des critères extraits des exemples qui caractérisent la frugalité

    Après avoir pris le temps d’analyser et de détailler chaque inno­va­tion, il était néces­saire de réper­to­rier tous nos cri­tères de réus­site dans un tableau afin d’évaluer leur per­ti­nence (Figure 29). Pour cela, il s’agit d'attribuer une cou­leur repré­sen­ta­tive du res­pect ou non-res­pect des items : une pas­tille verte signi­fie que l’item est res­pec­té, une pas­tille orange indique que le cri­tère est par­tiel­le­ment res­pec­té, tan­dis qu’une croix signi­fie un non-res­pect total de l’item. Ce tableau met fina­le­ment en avant l’ensemble des dif­fé­rents cri­tères aux­quels répondent cha­cun de nos exemples illus­trés précédemment.

    Figure 29 : Evaluation des critères de réussite de la frugalité (source : auteurs)

    Grâce à cette ana­lyse, on remarque que l’incubateur Embrace répond de manière signi­fi­ca­tive à l’ensemble de ces cri­tères de réus­site. A contra­rio, le res­pi­ra­teur “usine à gaz”, qui est un contre-exemple de la fru­ga­li­té, ne répond qu’à très peu d’items. Ce tableau de syn­thèse per­met ain­si de confir­mer que nos cri­tères de réus­site sélec­tion­nés sont bien repré­sen­ta­tifs d’une concep­tion fru­gale. C’est notam­ment grâce à l’exploitation de ce tableau qu’a été construit l’autodiagnostic Excel, expli­qué dans les par­ties ci-des­sous. L’autodiagnostic per­met­tra d’être davan­tage pré­cis, et de four­nir un véri­table score de fru­ga­li­té afin d’être en mesure de com­pa­rer de manière quan­ti­ta­tive les dif­fé­rents exemples.

    5. Proposition d’un outil de détermination de l’indice de frugalité

    5.1 Le choix de l’outil

    L’analyse des dif­fé­rents exemples pré­cé­dem­ment décrits ont per­mis de déga­ger des cri­tères per­ti­nents, per­met­tant ain­si, l'élaboration d’un outil d’autodiagnostic (Annexe 2) pre­nant la forme d’un tableau Excel. Ce choix a été effec­tué afin de per­mettre un accès rapide, depuis dif­fé­rentes pla­te­formes, met­tant en exergue les résul­tats sous forme de graphe radar.

    L’autodiagnostic est un outil qui pro­cure de nom­breux avan­tages, dont celui de faci­li­ter la visua­li­sa­tion et la com­mu­ni­ca­tion. En effet, cet outil va per­mettre d’amorcer le dia­logue entre les dif­fé­rents acteurs et de mettre en place un véri­table tra­vail col­la­bo­ra­tif pour pou­voir éta­blir des plans d’action néces­saires à l'issue de cette évaluation.

    L’objectif prin­ci­pal de cet outil est donc de mesu­rer un indice de fru­ga­li­té en iden­ti­fiant les points forts et les points faibles de la phase de concep­tion (le cas échéant) d’un dis­po­si­tif médi­cal. Il per­met­tra ain­si de four­nir un score de fru­ga­li­té (tel qu’un nutri-score) que les fabri­cants pour­ront asso­cier à leur dis­po­si­tif médical.

    Cet outil d’autodiagnostic s’adresse en par­ti­cu­lier à toutes les entre­prises qui sou­haitent conce­voir ou éva­luer un dis­po­si­tif médi­cal fru­gal afin de déga­ger les points cri­tiques à amé­lio­rer. Mais il s’adresse éga­le­ment, dans une moindre mesure, aux exploi­tants, qui pour­ront se ser­vir de ce score de fru­ga­li­té dans la rédac­tion de leurs appels d'offres par exemple.

    5.2 L’organisation de l’outil

    5.2.1 Le PDF interactif

    Dans un pre­mier temps, pour accom­pa­gner l’outil d’autodiagnostic, il était per­ti­nent de four­nir un docu­ment per­met­tant de rap­pe­ler les notions néces­saires asso­ciées au prin­cipe de l’innovation fru­gale. Le for­mat PDF étant popu­laire, simple et géné­ra­li­sé à tous les ordi­na­teurs, c’est tout natu­rel­le­ment et logi­que­ment qu’il sem­blait plus judi­cieux de tra­vailler avec cet outil pour incar­ner notre concept de frugalité.

    • A qui s’adresse le PDF interactif ?

    Le PDF s’adresse avant tout au fabri­cant mais aus­si à l’exploitant. Ce docu­ment est un guide pour qui compte sou­haite savoir si le dis­po­si­tif médi­cal qu’il a en face de lui ou qu’il a ima­gi­né est frugal.

    • A quel moment ?

    Le docu­ment fonc­tionne à tout moment du cycle de vie du dis­po­si­tif médi­cal, de la concep­tion à la réforme ou déclas­se­ment. Évi­dem­ment, le résul­tat sera évo­lu­tif en fonc­tion de la période, des infor­ma­tions plus pré­cises seront dis­po­nibles par exemple pour un dis­po­si­tif médi­cal en exploi­ta­tion alors qu’elles ne seront qu’imagées ou anti­ci­pées lors de sa fabrication.

    • Pour­quoi ?

    On sou­haite savoir si notre dis­po­si­tif médi­cal répond aux cri­tères de réus­site de l’innovation frugale.

    • Dans quel but ?

    Pour un fabri­cant, il peut y avoir un inté­rêt com­mer­cial pour le mar­ke­ting "fru­gal washing" et ain­si pro­fi­ter “d’un nou­veau mar­ché” pour vendre davan­tage. Le but peut être aus­si dans un sou­ci per­son­nel ou ins­ti­tu­tion­nel de vou­loir s'engager davan­tage dans une démarche de déve­lop­pe­ment durable.

    5.2.2 L'autodiagnostic

    Concer­nant, l’outil en lui-même, l’autodiagnostic a été conçu grâce aux dif­fé­rents cri­tères de réus­site qui ont été réper­to­riés (Figure 30). Par­mi ces cri­tères, on a fait le choix de dif­fé­ren­cier les besoins et les contraintes.

    Figure 30 : Récapitulatif des critères de réussite d'un dispositif médical frugal (source : auteurs)

    C’est notam­ment suite aux dif­fé­rents entre­tiens avec des pro­fes­sion­nels, qu’il a été choi­si de dif­fé­ren­cier le cri­tère “besoin” du cri­tère “contrainte”. En effet, le besoin se démarque comme étant le cri­tère fon­da­men­tal dans la concep­tion d’un dis­po­si­tif médi­cal, puisqu’il per­met avant tout de cibler l’utilisateur spé­ci­fique et de se foca­li­ser sur l’essentiel en autant le super­flus grâce à une col­la­bo­ra­tion effi­cace entre l’ensemble des par­ties pre­nantes. Cette pre­mière phase d’évaluation évo­lue ensuite dans un envi­ron­ne­ment de contraintes, où un cer­tain nombre de cri­tères per­mettent d’évaluer la per­ti­nence en termes de frugalité. 

    Ain­si, l’outil se pré­sente comme une grille d’évaluation consti­tuée de : 5 items carac­té­ri­sant le besoin et de 34 items pour illus­trer toutes les contraintes citées préa­la­ble­ment (Figure 30). L’utilisateur de l’outil choi­si­ra par­mi une liste dérou­lante, la réponse aux dif­fé­rents cri­tères d’évaluation, abou­tis­sant à un pour­cen­tage repré­sen­tant un score de frugalité. 

    5.3 Les exemples testés avec l’outil d’autodiagnostic

    Après la réa­li­sa­tion de l’autodiagnostic, il était néces­saire de véri­fier la per­ti­nence de l'outil en tes­tant cha­cun de nos exemples. Chaque exemple a donc été étu­dié à tra­vers l'outil par cha­cun des membres du groupe avant d'effectuer une moyenne (Figure 31). Il est à noter que l’outil est réa­li­sé pour les dis­po­si­tifs médi­caux et que l’étude d’innovations en dehors de ce domaine doit être vue à titre indicatif.

    Figure 31 : Résultats de l'autodiagnostic sur chacun des exemples étudiés

    Grâce à ce score de fru­ga­li­té, l’outil rend ain­si pos­sible une com­pa­rai­son quan­ti­ta­tive. Embrace, qui répond à l’ensemble des contraintes et satis­fait un besoin pri­maire, se dis­tingue des autres exemples en affi­chant un score de 88% (Figure 32). En oppo­si­tion, le res­pi­ra­teur “usine à gaz” pro­pose un pour­cen­tage de fru­ga­li­té de 29% (Figure 33), ce qui est lar­ge­ment infé­rieur à l’ensemble de nos résul­tats. Cette ana­lyse quan­ti­ta­tive, issue de l'autodiagnostic, est donc en adé­qua­tion avec les résul­tats obte­nus dans le tableau de syn­thèse (Figure 29).

    Figure 32 : Graphe Radar d’Embrace  (source : auteurs)
    Figure 33 : Graphe Radar du respirateur “usine à gaz” (source : auteurs)

    Cepen­dant, cer­tains des résul­tats obte­nus res­tent rela­ti­ve­ment proches. Pour cela, il convient d’établir un seuil de fru­ga­li­té : un score de fru­ga­li­té infé­rieur à 50% indique que le DM ne cor­res­pond pas à une inno­va­tion fru­gale. Fina­le­ment, l’autodiagnostic per­met d’affirmer que la tata Nano et le res­pi­ra­teur sont bien des échecs. Tan­dis que la voi­ture Logan, l’incubateur Embrace, et le Fal­con 9 sont bien des réus­sites d’innovation fru­gale.  En revanche, le M.U.R obtient un résul­tat moyen de 74% (figure 31), ce qui est bien au-des­sus du seuil de suc­cès esti­mé à 50%.

    Néan­moins, le M.U.R est décrit comme un échec par un cer­tain nombre de pro­fes­sion­nels de la san­té. Cet échec s’explique par le fait que les besoins n’ont pas été clai­re­ment iden­ti­fiés. En effet, outre le manque de sécu­ri­té du dis­po­si­tif, la fonc­tion PEP, pour­tant essen­tielle, n’est pas réa­li­sable avec le M.U.R pre­mière édition.

    Il est donc pri­mor­dial de suivre la che­ck­list de l’outils (feuille “Besoin”), avec la plus grande pré­ci­sion et ce, de manière col­lé­giale, puisque même si le M.U.R se pré­sente de prime abord comme un dis­po­si­tif médi­cal fru­gal qui prend en consi­dé­ra­tion de nom­breuses contraintes, il n’en reste pas moins qu’il ne répond pas au cri­tère pri­mor­dial : LE BESOIN.

    De plus, il est bon de rap­pe­ler éga­le­ment que l’outil mis en place a été réa­li­sé pour éva­luer seule­ment la fru­ga­li­té des dis­po­si­tifs médi­caux. Par consé­quent, l’analyse concer­nant le Fal­con 9 reste à titre indi­ca­tif et per­met sim­ple­ment de mon­trer que le coût n’est qu’une consé­quence et non un cri­tère fon­da­men­tal. Le prin­cipe de fru­ga­li­té est donc bien à dis­tin­guer du modèle “low-tech”.

    5.4 Les limites et améliorations de l’outil

    Comme tout outil, il pré­sente éga­le­ment quelques limites à son uti­li­sa­tion. En effet, l’innovation fru­gale reste par­ti­cu­liè­re­ment dif­fi­cile à défi­nir ce qui sous-entend une cer­taine sub­jec­ti­vi­té dans les réponses, la pon­dé­ra­tion et le choix des cri­tères utilisés.

    De plus, cer­tains cri­tères demandent une exper­tise tech­nique qui per­met­trait de tendre en faveur de résul­tats quan­ti­ta­tifs et non plus qua­li­ta­tifs, pour appor­ter ain­si davan­tage de robus­tesse à nos éléments.

    En rai­son de ces limites, cer­taines pistes d’améliorations pour­raient être envi­sa­gées, notam­ment le fait de recou­rir à d’autres exemples et contre-exemples pour vali­der la pon­dé­ra­tion de nos cri­tères et obte­nir un indice de fru­ga­li­té plus repré­sen­ta­tif (Figure 34).

    Figure 34 : Limites et améliorations envisagées de l’outil (source : auteurs)

    6. Conclusion

    La fru­ga­li­té est un concept com­plexe, par­ti­cu­liè­re­ment sub­jec­tif. C’est avant tout un état d’esprit, qui béné­fi­cie sou­vent d’une image péjo­ra­tive “low tech” et pas cher qu’il conve­nait de démentir.

    En défi­ni­tive, il s’agit plu­tôt de se foca­li­ser sur la réponse aux besoins, en éva­luant l'environnement de contraintes auquel est sou­mis l’innovation. Ain­si, le prix n'est fina­le­ment qu'une conséquence. 

    Dans le domaine des dis­po­si­tifs médi­caux, l’innovation est rare­ment fru­gale mais plu­tôt accès sur de nou­velles options, à la recherche constante d’améliorations et de fonc­tions super­flues pour se démar­quer de leurs concurrents.

    Pour autant, le contexte actuel a mis en évi­dence la néces­si­té de se tour­ner vers des dis­po­si­tifs médi­caux plus fru­gaux, per­met­tant un accès aux soins à tous les patients.

    L’innovation fru­gale per­met ain­si un retour aux fon­da­men­taux en s’affranchissant sou­vent de l’aspect mar­ke­ting. L’avenir appa­raît ain­si plus pro­pice au déve­lop­pe­ment de ces concepts, qui ôte­ront le super­flu pour ne gar­der que l'essentiel.

    7. Annexes

    Annexe 1 : Les 6 principes de la frugalité selon Navi Radjou : 

    Selon Navi Rad­jou, l’innovation fru­gale doit répondre à six prin­cipes fon­da­men­taux. En effet, en plus de l’étude des exemples, ses six prin­cipes vont ain­si nous per­mettre de déga­ger les cri­tères de réus­site de la concep­tion fru­gale d’un dis­po­si­tif médical.

    1. Enga­ger et ité­rer : ce prin­cipe fait réfé­rence au fait d’agir et de pen­ser de façon flexible, en s’efforçant de pla­cer l’utilisateur, le patient au centre de l’innovation pour cibler son besoin spé­ci­fique et ne pas s’intéresser seule­ment au pro­duit final. C’est une inno­va­tion qui doit se foca­li­ser autour du point de vue du client, du patient. 
    2. Flexi­bi­li­ser et opti­mi­ser toutes les res­sources : opter pour une méthode agile en for­mant des équipes poly­va­lentes et auto­nomes, tout en fai­sant des choix stra­té­giques pour éco­no­mi­ser les ressources.
    3. Régé­né­rer les gens, les lieux et la pla­nète : il est néces­saire d’imaginer des solu­tions durables, en valo­ri­sant une éco-concep­tion. Il peut s’agir de pro­duits bio­mi­mé­tiques ou recyclables.
    4. Façon­ner les com­por­te­ments des clients : un prin­cipe qui appa­raît comme para­doxal avec la phi­lo­so­phie Jugaad, puisque l’innovation se foca­lise seule­ment sur un besoin essen­tiel. Cepen­dant, l’innovation fru­gale doit cher­cher aus­si à façon­ner le com­por­te­ment du client, en ren­dant le pro­duit simple d’utilisation et en le trans­for­mant à la fois en pro­duit agréable.
    5. Co créer de la valeur avec les consom­ma­teurs acteurs : ce prin­cipe repose sur l’hypothèse que de nom­breux clients sou­haitent être de véri­tables acteurs et par­ti­ci­per à la concep­tion, la pro­duc­tion et à la dis­tri­bu­tion de cer­tains pro­duits ou ser­vices. Les clients deviennent à la fois consom­ma­teurs et pro­duc­teurs, ou “consom’acteurs”. 
    6. Hyper col­la­bo­rer : aller à la ren­contre directe de la popu­la­tion concer­née et des méde­cins pour cer­ner davan­tage le besoin et les contraintes. Ce prin­cipe vise à étendre le plus pos­sible l’application de cette inno­va­tion et de la rendre accessible.
    Annexe 2 : L’autodiagnostic [source : auteurs]

    Bibliographie

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