IDS204 - Intelligences Artificielles déployées dans les établissements de santé
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Auteurs
Contacts
- Nesrine BOUHAWEL : nesrinebouhawel19@gmail.com
- Sara EL IDRISSI : Elidrissi.sara.ma@gmail.com
- Marwa MEDJ : Marwa.medj@outlook.fr
- Damien PICART : damien.picart@gmail.com
- Mialisoa Joanne RATIANARIVELO : joanneratianarivelo@gmail.com
Citation
A rappeler pour tout usage : N. BOUHAWEL, S. EL IDRISSI, M. MEDJ, D. PICART, M.J. RATIANARIVELO, « Intelligences Artificielles déployées en établissement de santé », Université de Technologie de Compiègne (France), Master Ingénierie de la Santé, Parcours Technologie Biomédicale et Territoires de Santé (TBTS) et Dispositifs Médicaux et Affaires Réglementaires (DMAR), Mémoire de Projet, https://travaux.master.utc.fr/, réf n° IDS204, https://doi.org/10.34746/ids204, décembre 2023, https://travaux.master.utc.fr/formations-master/ingenierie-de-la-sante/ids204
Résumé
En quelques années, l'intelligence artificielle s'est concrètement inscrite dans notre quotidien, tirant profit de capacités de calcul grandissantes, de modélisation avancée, d'apprentissage et de l'exploitation stratégique des données massives. Cette technologie a été introduite dans divers domaines et est devenue presque routinière dans le cadre de certaines activités. Le domaine de la santé n’échappe pas à ces évolutions.
Aujourd’hui, l’association des thèmes IA et santé est omniprésente dans les médias, les conférences spécialisées, et s'étend au grand public. Toutefois, il demeure souvent difficile de déterminer si les applications et les outils mis en avant sont réellement utilisés dans la pratique quotidienne des établissements de santé et par les professionnels en France. Dans le cadre de ce projet, notre objectif est d’aller loin des discours promotionnels pour présenter une vision claire du déploiement de l'IA dans les établissements de santé en France, en mettant l’accent sur les obstacles et les moteurs de déploiement.
Abstract
In just a few years, artificial intelligence has become part of our daily lives, taking advantage of accumulated computing capacity, advanced modeling, learning and the strategic exploitation of massive data. This technology has been introduced in a variety of fields and has become almost routine in certain activities. Healthcare is no exception.
Today, the association of AI and healthcare is omnipresent in the media, at specialist conferences, and extends to the general public. However, it often remains difficult to determine whether the applications and tools put forward are actually used in daily practice in healthcare establishments and by professionals in France. As part of this project, our aim is to move away from promotional rhetoric to present a clear vision of AI deployment in healthcare facilities in France, focusing on the barriers and drivers to deployment.
Remerciements
Pour commencer, nous tenons à remercier Madame Isabelle CLAUDE notre encadrante durant ce projet, merci pour votre écoute et vos conseils qui nous ont permis d'aboutir à ce travail.
Nous voudrions aussi présenter notre gratitude envers tous les professionnels des entreprises que nous avons rencontrés lors des Journées Françaises de Radiologie (JFR), qui ont répondu à nos questions portant sur notre projet :
- Chief Marketing Officer chez Intrasense,
- Responsable du segment cardiovasculaire chez Incepto,
- Co-fondateur de Milvue,
Nous voudrions également remercier les professionnels hospitaliers :
- Ingénieur biomédical du Centre Hospitalier de Saint-Brieuc,
- Ingénieur développement au Centre Hospitalier de Compiègne,
- Chef de projet biomédical au Centre Hospitalier de Compiègne,
grâce à leur réactivité et aux informations qu'ils nous ont fournies, nous avons pu progresser sur le projet.
Téléchargements
Liste des abréviations
ANAP : Agence Nationale de la Performance sanitaire et médico-sociale
AVC : Accident Vasculaire Cérébral
Bpifrance : Banque Publique d’Investissement France
CH : Centre Hospitalier
CHU : Centre Hospitalier Universitaire
CHRU : Centre Hospitalier Régional et Universitaire
CNAM : Caisse Nationale d’Assurance Maladie
CNIL : Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés
DICOM : Digital Imaging and Communications in Medicine
DM : Dispositifs Médicaux
DMDIV : Dispositifs médicaux in vitro
DNS : Délégation ministérielle au Numérique en Santé
HAS : Haute Autorité de Santé
HDI Day : Healthcare Data Institute Day
IA : Intelligence Artificielle
JFR : Journées Françaises de Radiologie
MASCF : Mutuelle d’Assurance du Corps de Santé Français
OMS : Organisation Mondiale de la Santé
RGPD : Règlement Général de Protection des Données
SASN : Stratégie d'Accélération Santé Numérique
UE : Union Européenne
UFR : unité de Formations et de Recherches
Intelligences Artificielles déployées en établissement de santé
Introduction
L’Intelligence Artificielle (IA) constitue une grande révolution scientifique de ces dernières décennies. Historiquement, la conférence de Dartmouth aux Etats-Unis en 1956 menée par John McCarthy marque officiellement la naissance de l’Intelligence Artificielle (IA), bien que des expériences sur le sujet aient déjà été expérimentées auparavant comme le test de Turing de 1950. Cette conférence a réuni les précurseurs de l’IA (principalement des mathématiciens et des théoriciens) pour exposer leur ambition de créer des machines ayant les mêmes capacités intellectuelles que les humains [1]. L’avènement des microprocesseurs dans les années 1970 a donné aux systèmes d’IA la capacité de procéder à un nombre plus important d'opérations en consommant moins de ressources. Cela a mené au premier événement marquant de l’apparition de l’IA en 1997 où le système d’IA Deep Blue gagne pour la première fois au jeu d'échecs contre un humain, Garry Kasparov [2].
A partir des années 2010, l’IA s’est développée plus rapidement avec l’apparition du big data ou “données massives”. Ces mégadonnées sont l’ensemble des données informatiques collectées provenant de diverses sources comme les réseaux sociaux, les dossiers médicaux, les données d’applications mobiles ou encore les transactions commerciales. Ces données massives ont permis aux techniques d’IA de réaliser des analyses et des calculs plus performants afin de prévenir des évènements, de proposer des améliorations et de perfectionner les activités [3]. Rapidement, l’IA prend place dans plusieurs domaines (notamment dans le domaine de la santé) partout dans le monde et également en France.
L’introduction de l’IA dans le domaine de la santé répond à la nécessité impérieuse d'améliorer l'efficacité des soins médicaux, de réduire les coûts et d'optimiser la prise de décision médicale. Les médias, les conférences spécialisées et le grand public s'intéressent de plus en plus aux possibilités que l'IA peut offrir dans ces domaines. Cependant, il subsiste souvent un écart significatif entre la perception publique des capacités de l'IA en médecine et la réalité de son utilisation dans les établissements de santé. Il convient donc ici de comprendre quelle est la réalité de l’utilisation de l’IA dans les établissements de santé et quels sont les défis ainsi que les accélérateurs liés à son déploiement ?
Pour répondre à ces questions, le plan suivant sera suivi : en premier lieu, les généralités concernant l’IA, ensuite, l’état actuel de l’implémentation des solutions d’IA dans les établissements de santé français. Et enfin, les freins et les accélérateurs liés à son déploiement seront explicités.
I. Généralités
A. Définitions : intelligence artificielle, établissement de santé et déploiement
L’IA étant au centre de ce sujet, il est important de bien la définir. Malgré le fait qu’il n’y ait pas de consensus scientifique autour de la définition de l’IA, elle peut tout de même être décrite comme la capacité d’un système informatique à imiter le cerveau humain notamment la prise de décision raisonnée grâce à l’utilisation d’algorithmes. Le but de ces algorithmes est d’analyser de grandes quantités de données pour commencer l’apprentissage, puis d’être capable d’apprendre par eux même et d’apprendre de leurs propres expériences.
Historiquement, l'IA a été divisée en deux catégories : le computationnalisme et le connexionnisme. Le computationnalisme était très similaire aux ordinateurs existants, dans le sens où des règles étaient établis, et l'algorithme fournissait une donnée de sortie en se basant sur ces règles. L’approche connexionniste quant à elle s’inspire du fonctionnement du cerveau humain en reproduisant un système de neurones interconnectés pour prendre en considération différentes entrées et faire évoluer les règles qui régissent la sortie finale fournie par l’algorithme [4].
L’approche computationnaliste a donné naissance aux systèmes experts, qui intègrent une grande quantité de règles “si-alors” qui permettent de donner un résultat précis dans un domaine spécifique [5]. Le manque d’adaptabilité de ce genre de système peut cependant être limitant, car si le domaine change, toutes les règles doivent être modifiées par une intervention humaine, ce qui est très long et fastidieux.
L’approche connexionniste s’appuyant sur le fonctionnement du cerveau et des neurones, a naturellement donné naissance aux réseaux de neurones qui font partie intégrante d’une catégorie d’algorithme qu’on appelle machine learning. Le machine learning englobe tous les types d’algorithmes qui permettent “d’apprendre” par eux même, c'est-à-dire de modifier leur fonctionnement au fur et à mesure qu’ils sont utilisés [6].
Le schéma (Figure 1) permet d’illustrer simplement le fonctionnement d’un réseau de neurones. Une entrée est envoyée vers une première couche de neurones qui va traiter différents aspects de l’entrée. La sortie de cette prmière couche de neurones sera l’entrée de la prochaine couche, et ainsi de suite. Enfin, l’intégration des différentes sorties de la dernière couche de neurones permet de fournir une sortie finale. En fonction de la pertinence de la sortie finale, une modification de paramètres des couches intermédiaires de neurones est faite pour affiner le modèle et fournir une sortie finale de plus en plus juste à mesure que le réseau de neurone est sollicité. C’est pourquoi les réseaux de neurones doivent être “entraînés” avec un très grand nombre de données pour affiner leurs précisions.
Ces systèmes de réseaux de neurones permettent d’analyser différents aspects d’une même donnée d’entrée et d’intégrer des caractéristiques multiples et complexes. Un réseau de neurones avec peu de couches intermédiaires (appelées “hidden layers” ( Figure 1)) est associé à la résolution de problèmes “simples” tandis qu’un nombre de couches élevé permet de résoudre des problèmes plus “complexes” [7]. Les algorithmes de Deep learning sont un certain type de réseau de neurones qui intègrent un nombre relativement important de couches intermédiaires (d’où le terme “Deep”) permettant de résoudre des problématiques “complexes”.
Figure 1 : Schématisation du fonctionnement d'un réseau de neurones [6]
Ana Barragan-Montero et al. dans l'article “Artificial intelligence and machine learning for medical imaging : A technology review” proposent un schéma de classification des différents types d’IA évoqués ci-dessus (Figure 2).
Figure 2 : Schéma de classification des différents types d'Intelligence Artificielle [4]
Comme évoqué dans le préambule de la partie généralité, ces différents types d’IA peuvent être utilisés dans les établissements de santé. Ce dernier terme étant générique, il est également nécessaire de bien le définir pour expliciter les différentes structures qu’il désigne.
Selon le site “Médical RH”, un établissement de santé est “une structure définie par un statut légal, et dont les missions sont fixées par le Code de la santé publique” [8]. Parmi les missions fixées par le code de la santé publique, il y a notamment [9]:
- Permettre le diagnostic, le traitement et la surveillance des patients
- Mettre en oeuvre la politique de santé définie par le gouvernement Français
- Coordonner les soins entre les différents acteurs du domaine de la santé en France
Le site du gouvernement “Vie Publique” classe les établissements de santé en deux catégories : les établissements publics et les établissements privés. Dans les établissements publics, on retrouve notamment les centres hospitaliers universitaires ou régionaux (CHU/ CHR), et les centres hospitaliers (CH). Les établissements privés sont composés de structures à but lucratif comme les cliniques privées et de structures à but non lucratif comme les ESPIC (Etablissements de Santé Privé d’Intérêt Collectif) [9].
Les CH(R)U sont localisés dans les grandes villes et fournissent, en plus des soins courants, des soins beaucoup plus spécialisés. Ils sont très souvent associés à des unités de formation et de recherche (UFR) qui sont les vecteurs d’innovation au sein des établissements de santé. Les CH, quant à eux, sont de taille plus modeste et ont pour missions de fournir une gamme de soins larges aux patients [10].
Ces différentes structures peuvent donc utiliser différentes solutions impliquant l’utilisation de l’IA. Certaines solutions sont déjà utilisées en routine, tandis que d’autres sont encore à l’étape d’expérimentation. C’est pourquoi nous nous proposons de définir également ce qu’est le déploiement d’une solution d’IA dans les établissements de santé.
Quand on cherche à définir le terme de “déploiement” d’une technique dans des établissements de santé, on cherche à définir les différents stades d’utilisation de ces techniques dans l’ensemble de l'écosystème des établissements de santé français. Ici, la technique étudiée est l’IA. En effet, un système présent dans un établissement de santé embarquant de l’IA, n’est pas au même stade de déploiement, qu’il soit en phase d’expérimentation ou qu’il soit en phase d’utilisation en routine. On peut estimer qu’un système uniquement utilisé dans un seul établissement de santé (probablement un CH(R)U où il a été/ est en cours de développement) n’est pas encore “déployé”. En revanche, un système embarquant de l’IA et utilisé dans un grand nombre d'établissements de santé peut être considéré comme “déployé”.
Dans ce travail, on se donnera le référentiel suivant :
- Un système embarquant de l’IA et présent dans au minimum 2 établissements de santé est considéré comme “déployé”.
- Un système embarquant de l’IA et présent dans aucun ou un seul établissement de santé est considéré comme “pas encore déployé”.
- Un système embarquant de l’IA et présent dans un établissement de santé et en phase d’être implémenté dans un ou plusieurs autres établissements de santé est considéré comme “en cours de déploiement”.
B. Les besoins et enjeux de l'IA dans le système de santé français
Maintenant que l’IA a été définie ainsi que les différents types de structures médicales où elle peut être déployée, il est intéressant de se demander ce qu’elle peut apporter au domaine médical en France et quels sont les enjeux de son utilisation au sein des établissements de santé français.
1. Les besoins auxquels l’IA répond dans le domaine de la santé
Tout d'abord, la multiplication des examens médicaux induit une augmentation de la charge de travail du personnel médical [11]. Par exemple, en 2021, le nombre de séjours d'hospitalisation complets est de 10,6 millions qui constitue une hausse de 3,3% par rapport à l’année 2020 [12]. Il est à noter que chaque hospitalisation nécessite une réalisation d’examens en amont mais aussi en aval. Ainsi, la possibilité via l’IA d’aider au diagnostic, ou de réaliser un suivi à distance de l’état du patient permet au personnel médical de gagner du temps lors de leurs prises de décisions et d’optimiser le parcours de soin des patients, ainsi que les ressources des établissements de santé [13]. Ces optimisations permettent également de réduire les coûts engagés dans la prise en charge des patients [14].
La volonté grandissante de traiter des pathologies de plus en plus complexes implique une nécessité de pouvoir intégrer une grande diversité de données pour chaque patient. Des systèmes d’IA pouvant analyser un grand nombre de données patients (telles que les antécédents familiaux, les symptômes, ou encore les anciennes pathologies ou les pathologies en cours) pourraient permettre de proposer un diagnostic précis et de personnaliser le traitement plus rapidement [14].
2. Les enjeux du déploiement de l’IA dans les établissements de santé
Comme évoqué dans le paragraphe précédent, l'IA offre un potentiel certain pour élever la qualité des prestations de soins au sein des établissements de santé. Grâce à sa capacité d'apprentissage et l’analyse d’un grand nombre de données, elle contribue à un diagnostic clinique plus rapide et plus précis, une prise de décision plus éclairée et une personnalisation des traitements. Dans des domaines tels que la radiologie, l'IA peut même surpasser les compétences du jugement humain [15]. Cependant, l’implication du personnel médical dans le développement de ces solutions sera primordial pour aider au mieux les industriels à fournir des solutions propres à des besoins biens définis [16].
Outre l'amélioration de la qualité de soins, comme vu en partie I.B.1. de nombreuses applications d'IA visent également l'automatisation des tâches routinières, libérant ainsi le temps et les compétences des professionnels de la santé. De même, les économies potentielles découlant de l’optimisation des ressources sont un enjeu majeur, surtout dans les pays développés où les coûts de santé sont élevés. L'utilisation judicieuse de l'IA peut contribuer à la gestion des ressources limitées et à la réduction des coûts [15].
Comme évoqué plus haut, pour s’assurer de l’efficacité de ces solutions d’IA, que ce soit pour l’amélioration des prestations de soins ou l’automatisation de tâches routinières, un grand nombre de données est nécessaire pour “entraîner” les algorithmes. Ces données sont des données personnelles des patients, ainsi soumises à la réglementation générale sur la protection des données. Il est donc crucial d’intégrer le développement de l’IA dans cette réglementation, pour s’assurer que l'utilisation des données soit également encadrée dans ce domaine émergent qu’est l’IA [17]. De plus, les systèmes automatisés grâce à l’IA sont susceptibles d’être victime de cyber-attaques, qui peuvent avoir des conséquences graves sur la santé des patients. Il est donc également primordial de réfléchir à un système de cyber sécurité robuste, pour protéger les patients [17].
En cas d’un incident ne provenant pas d’une cyber-attaque mais d’un dysfonctionnement de la solution d’IA, la question de la responsabilité peut également être posée [18]. Le médecin doit-il porter la responsabilité de cette erreur en tant qu’utilisateur de l’IA ? Ou est-ce que le fabricant/ développeur de la solution d’IA doit être tenu responsable du dysfonctionnement ? L’organisation biomédicale pourrait-elle également être responsable de ne pas avoir prévu d’alternative à l’IA en cas d’erreur majeure ? Toutes ces questions vont devoir être adressées pour que ces potentiels accidents soient encadrés au mieux.
Enfin, une dimension humaine va être à surveiller tout au long de l’essor de l’IA dans le domaine de la santé. L’implication de tous les acteurs, y compris les patients, dans l’utilisation de l’IA dans les établissements de santé est nécessaire. Si la communauté patiente n’est pas continuellement informée des avancées technologiques et des implications que celles-ci auront sur leur parcours de soin et la qualité de leur prise en charge, elle pourrait être un frein à l’utilisation de l’IA dans les établissements de santé.
C. Cadre réglementaire actuel de l’IA en santé
Se conformer aux réglementations en vigueur constitue également un enjeu majeur du déploiement des systèmes d'IA dans les établissements de santé. Ces systèmes doivent respecter des règles strictes pour garantir la sécurité des patients, la confidentialité des données et la qualité des soins. De ce fait, il est nécessaire de mettre en lumière le cadre réglementaire existant des technologies de l'IA en France et en Europe.
1. Règlements européens 2017/745 et 2017/746 relatif aux dispositifs médicaux et aux dispositifs médicaux in vitro
En avril 2017, le Parlement européen et le Conseil ont adopté le règlement (UE) 2017/745 et le règlement (UE) 2017/746 afin de renforcer le cadre réglementaire applicable aux dispositifs médicaux (DM) et dispositifs médicaux in vitro (DMDIV) en abrogeant les anciennes directives existantes.
Dans le cadre de ces règlements, tout système d'intelligence artificielle de diagnostic ou de traitement qui répond à la définition de dispositif médical est désormais considéré comme étant un [19]. En effet, cette définition a été revue pour incorporer dans les fonctions du dispositif médical les notions de prédiction et de pronostic qui doivent répondre à l’évolution des systèmes d’intelligence artificielle [20].
Un dispositif médical est ainsi défini comme : “tout instrument, appareil, équipement, logiciel, implant, réactif, matière ou autre article, destiné par le fabricant à être utilisé, seul ou en association, chez l'homme pour l'une ou plusieurs des fins médicales précises suivantes : “Diagnostic, prévention, contrôle, prédiction, pronostic, traitement ou atténuation d'une maladie,...” [21].
Si la notion d'intelligence artificielle n'apparaît pas spécifiquement dans les règlements, ils peuvent néanmoins s'appliquer aux dispositifs médicaux constitués de logiciels utilisant des traitements algorithmiques et recourant à des données massives pour l'apprentissage [22]. Par conséquent, les systèmes d'intelligence artificielle répondant à cette définition sont soumis aux règles de classification et aux exigences des dispositifs médicaux en vertu de ces règlements.
2. La loi bioéthique
La France a pris l'initiative de consolider la notion de « garantie humaine » dans l'usage de l'intelligence artificielle en santé grâce à la loi de bioéthique du 2 août 2021. Cette loi a introduit un nouvel article, l'article L .4001-3, dans le Code de la santé publique, qui repose sur plusieurs principes essentiels dont l’information du patient et des professionnels de santé utilisateurs des outils d’IA, l’explicabilité de ces outils et la garantie d’une supervision humaine [23].
La Haute Autorité de Santé (HAS) a également intégré le concept de garantie d’une supervision humaine dans son dernier guide d'évaluation publié en octobre 2020 et destiné aux industriels fabricants de dispositifs médicaux à base d'IA souhaitant une prise en charge par l'Assurance maladie [24].
3. Référentiels légaux et réglementaires relatifs à la protection des données de santé
L'exploitation des données, en particulier de l'imagerie, est cruciale pour le développement des solutions d’IA . Cependant, malgré l'abondance de ces données dans les établissements de santé, leur exploitation n'est pas une démarche simple. Il est impératif de respecter les réglementations en matière de protection des données de santé. Trois référentiels gouvernent la protection des données personnelles en France :
- Le code de la santé publique,
- La loi informatique et libertés qui s'appliquent au niveau national
- le règlement général de protection des données (RGPD), en vigueur depuis le 25 mai 2018. Ce règlement a modernisé la loi informatique et libertés pour les adapter aux technologies contemporaines. Il a également harmonisé les réglementations européennes sur la protection des données personnelles [25].
Le RGPD définit les données personnelles de santé comme étant « les données à caractère personnel relatives à la santé physique ou mentale d’une personne physique, y compris la prestation de services de soins de santé, qui révèlent des informations sur l’état de santé de cette personne » [26] . Le règlement considère les données personnelles de santé comme étant des données sensibles et particulières et impose des conditions strictes d'exploitation aux responsables du traitement de ces données tel que l’obtention de consentement du patient, la désignation d’un responsable DPO (délégué à la protection des données) pour l’établissement de santé et l’entreprise partenaire, la tenue d’un registre de traitement des données de santé [27].
4. La proposition du règlement européen sur l’IA : “Artificial Intelligence Act”
Le secteur des logiciels embarquant l'intelligence artificielle évolue très rapidement dans l’univers de la santé, présentant plusieurs défis, notamment en termes d'explicabilité (justification des décisions prises), de qualité des données, de performance et d'éthique. La réglementation existante se révèle désormais insuffisante pour faire face à ces défis.
Ainsi, le 21 avril 2021, la Commission européenne a publié la première proposition européenne spécifiquement dédiée à l'intelligence artificielle. Cette proposition offre un cadre réglementaire exhaustif qui devrait entrer en vigueur au plus tard le 1er janvier 2024.
La proposition de loi sur l’IA adopte une approche fondée sur le risque. En effet, les obligations des fabricants et des utilisateurs sont adaptés au niveau de risque associé au système d’IA (cf. Figure 3) :
Figure 3 : Obligations pour les systèmes d’IA en fonction du niveau de risque [28]
Quelles exigences pour les systèmes d'IA à haut risque ?
Les dispositifs médicaux embarquant des logiciels d’IA étant classés à haut risque doivent répondre à une série d'exigences techniques et réglementaires avant et après sa mise sur le marché. Certaines obligations étaient moins renforcées dans les règlements sur les DM ou quasiment absentes. Cela implique :
- L'adoption de garanties contre divers types de biais dans les jeux de données alimentant l'IA y compris les biais géographiques et démographiques qui remettent en cause la validité des algorithmes, notamment chez des patients situés dans d'autres régions et au sein de populations peu diversifiées.Un exemple concret est celui des algorithmes d'apprentissage profond utilisés pour le dépistage du cancer de la peau, où la plupart sont entraînés sur des ensembles de données provenant de patients à la peau claire, compromettant ainsi leur performance lors de l'analyse d'images de lésions sur des peaux plus foncées [68].
- L’enregistrement des décisions prises par les systèmes d’IA tout au long du cycle de vie du système (un registre des « logs ») et la garantie d’un niveau adéquat de transparence et de compréhension pour les utilisateurs et leurs informations.
- Des obligations tenant à l’existence d’un contrôle humain (l’IA Act va plus loin que la loi bioéthique en termes de garantie humaine) [29].
II. Etat des lieux du déploiement de l’IA
A. Cartographie des solutions d’IA utilisées en établissement de santé
Afin de présenter l'état des lieux du déploiement de l'IA dans les établissements de santé, nous allons commencer par la cartographie des solutions existantes. Nous utilisons ici les bases de données de l’ANAP et du site de l’entreprise Incepto (qui regroupent un grand nombre de solutions déployées ou en cours de déploiement et embarquant de l’IA) pour préciser dans quels secteurs géographiques, quels types d’établissements et quels domaines d’application ces solutions d’IA sont utilisées.
Selon ces bases de données, le nombre de solutions d’IA appliquées à la santé en cours d’études, de recherches, d’essais ou encore déployées, s’élève à 60 (cf. Annexe 1). Sur la figure suivante (cf. Figure 4), la localisation des différents sites d’exploitation des solutions d’IA en France est affichée. Nous comptons environ 32 établissements publics et privés confondus. Le rapport entre les établissements publics et privés utilisant des solutions d’IA est assez déséquilibré : 21 établissements publics contre 11 établissements privés. Ces chiffres ne sont pas exhaustifs car les établissements qui exploitent certaines solutions ne sont pas détaillés. Parmi les établissements publics : 13 sont des CHU-CHRU et 6 des CH. Géographiquement, la majorité des établissements sont localisés en région parisienne.
Figure 4 : Cartographie de site d’utilisation de l’IA en France (Source : auteurs, Données ANAP) Bleue : établissements publics, Jaune : établissements privés
En classant les données répertoriées en annexe 1, nous pouvons distinguer le nombre de solutions d’IA en cours de recherche, d’essais, ainsi que celles commercialisées et déployées dans les établissements de santé. Le nombre de solutions d’IA déployé atteint les 60% (36 solutions) et celles non déployées ou en cours de déploiement correspondent à 40% (24 solutions). Les recherches de solutions d’IA en santé avancent donc progressivement et divers problèmes de la santé peuvent être résolus grâce à l’IA.
La figure suivante expose le nombre de solutions d'IA en fonction du domaine d'application (cf. Figure 5).
Figure 5 : Répartition des solutions d’IA dans les établissements de santé français (Source : auteurs , Données ANAP et Incepto)
Comme vu précédemment, les solutions d’IA sont utilisées dans divers domaines et spécialités différentes en santé, et notre liste n’est pas exhaustive. Cependant, le domaine du diagnostic est le plus exploité par l’IA (24 solutions). A la suite de cette sous-partie, le rapport se portera uniquement sur les solutions d’IA dans le domaine du diagnostic.
B. Zoom sur les solutions d’IA dans le domaine du diagnostic
Les professionnels de santé font de plus en plus appel aux technologies d’IA pour améliorer la précision et le rendement de leurs diagnostics, mais aussi pour orienter leurs choix thérapeutiques. Pour mieux comprendre l'impact de l'IA dans le domaine du diagnostic médical en France, il est essentiel d'examiner l'état de l'art des solutions actuellement en place.
Plus spécifiquement, quand on parle d’IA dans le domaine du diagnostic, on parle presque exclusivement d’IA intégrée à des systèmes d’imagerie. En regardant de plus près les 24 solutions de diagnostic évoquées dans la Figure 5 en partie I) A), on se rend compte que 100% d'entre elles concernent l’imagerie médicale.
Le but ici n’est pas de fournir un état des lieux exhaustifs de toutes les solutions d’IA en imagerie médicale en France. On propose cependant d’aborder les différentes fonctionnalités que l’IA peut apporter au domaine du diagnostic par imagerie médicale, ainsi que les différents domaines cliniques dans lesquels ces solutions sont utilisées.
1. Fonctionnalités
- Classification/priorisation
Tout d’abord, l’IA peut avoir une fonction de classification/ priorisation. C'est-à-dire qu’elle peut analyser un grand nombre d’images médicales et par exemple donner en sortie de l’information sur la présence ou non d’une pathologie. Dans ce cas, le professionnel de santé peut se focaliser sur les séries d’examens ayant été détectées comme pathologiques pour prioriser leurs actions [30]. Prenons l’exemple de la solution MammoScreen (cf. figure 6) développée par Therapixel en 2013, qui accompagne les radiologues lors de l’interprétation des images. Cette solution utilise un système de scores et de codes couleurs (cf.figure7) qui indique le niveau de suspicion de cancer du sein et peut donc être classifié et priorisé facilement [31].
Figure 6 : Logiciel MammoScreen de Therapixel [32]
- Base de données de 2 millions d'images et 50 000 cas de cancers confirmés par biopsies et anatomopathologies
- Evaluation continue des performances sur une base de données de validation composée de 250 000 examens de dépistage
Figure 7 : Grille de diagnostic donné par MammoScreen [31]
- Segmentation
Une autre fonctionnalité dite de segmentation peut être réalisée par les IA. La segmentation consiste à l’identification de zones pathologiques dans une image globale [33]. Cela permet au personnel de santé d’apporter une attention particulière à certaines zones de l’image, ce qui leur fait gagner du temps et de l’énergie.
Enfin, l’IA peut assurer une fonction de détection et de classification de pathologie. Pour les pathologies difficilement observables comme les petites lésions par exemple, ce travail fourni par l’IA est crucial pour gagner en efficience dans le flux de travail du professionnel de santé [30].
- Contourage
La détection et la classification peuvent également inclure des fonctionnalités de contourage automatique de structure, d’analyse de surface ou de mesure d’angles, de distances et de volumes [35]. La start-up TheraPanacea a introduit ART-Plan, un logiciel innovant dédié à la radiothérapie (cf. figure 8). Spécialement conçu pour faciliter le contourage des régions anatomiques cibles à partir d'images 3D de patients atteints de cancer nécessitant un traitement par radiothérapie, ce logiciel automatisé révolutionne le processus de planification thérapeutique [36].
Figure 8 : Logiciel Therapanacea [37]
- Technologie de Deep Learning
- Base de données d'image de plus de 10 000 patients
- 30 établissements en France à fin 2022 soit entre 600 et 1000 utilisateurs [38]
La segmentation, la détection et la classification permettent une uniformité et une objectivité de l’analyse des données. En effet, “l’interprétation diagnostique” via l'œil humain est limitée, réduisant ainsi les biais qui lui sont associés, comme la fatigue, la qualité de la vue ou le niveau d’expérience du praticien [35]. Le diagnostic devient donc en quelque sorte plus répétable.
- Autres fonctionnalités
Par l'intermédiaire de l’IA, le professionnel de santé peut également jouir de fonctionnalités annexes, comme l'uniformisation et l’homogénéisation des rapports d’analyse qui facilitent la lecture pour tous les personnels de santé. On peut également citer la capacité de l’IA à adapter la dose de rayons X à envoyer vers le patient en fonction de sa morphologie [39]. Plus un patient a un indice de masse corporel élevé, plus la quantité de rayons X nécessaires pour voir ces structures internes sera élevée. Ainsi, la dose de rayons X peut être personnalisée et minimisée pour chaque patient, réduisant ainsi les radiations pour le patient et pour le personnel médical.
2. Domaines cliniques
D'après nos échanges avec des experts de l'industrie de l'IA dans le domaine de l'imagerie médicale, trois applications cliniques majeures ont été identifiées en France pour cette technologie .On cite la détection de nodule pulmonaire pour le cancer pulmonaire, la détection de microcalcifications mammaires pour le cancer du sein, et la détection de fracture dans les services d’urgence [40].
Évidemment, l’IA en imagerie médicale est présente dans de nombreux autres domaines cliniques. En témoigne ce tableau récapitulatif (cf. figure 9 ) d’une étude menée sur plus de 300 papiers traitant du Deep learning appliqué au domaine de l’analyse d’images médicales.
Figure 9 : Graphique triant par domaine clinique plus de 300 articles scientifiques traitant du Deep learning pour l’analyse d’images médicales. Le terme “pathology” fait référence à la "pathologie numérique", qui correspond à l’analyse d’images provenant de lames de verre microscopiques [30]
Bien que ces articles scientifiques ne traitent pas tous de solutions commercialisées et déployées dans des établissements de santé, ce graphique met en lumière l’étendue des possibilités d’utilisation de l’IA pour le traitement d’images médicales.
En effet, les images d’IRM du cerveau peuvent être analysées par des solutions d’IA pour détecter la présence d’une tumeur par exemple. Cela fait gagner beaucoup de temps au praticien car il faut segmenter chaque couche d’image pour obtenir une morphologie de tumeur complète. Un praticien prendra de longues minutes pour effectuer cette tâche, alors qu’un algorithme peut le faire en quelques secondes. Le même travail peut être fait au niveau de l’abdomen pour repérer un cancer du foie par exemple, ou pour analyser une prostate. De plus, comme mentionné précédemment, il est également envisageable de repérer des nodules pulmonaires sur des images radiographiques afin de diagnostiquer précoce un éventuel cancer du poumon. Les lésions musculo-squelettiques peuvent également être identifiées, tout comme les calcifications des artères coronaires qui n’est qu’une des nombreuses applications dans le domaine cardio-vasculaire. L’analyse par l’IA va même jusqu’à l’imagerie ophtalmique, en détectant des rétinopathies diabétiques. Enfin, l’IA peut également analyser des images provenant de mammographies pour détecter des microcalcifications et déceler un potentiel cancer du sein [30], [41].
Il est évident que l'IA trouve une application étendue dans le domaine de l'imagerie médicale, car elle peut être exploitée sur toutes les modalités d'imagerie, qu'il s'agisse de l'imagerie en 2D ou en 3D, couvrant de multiples zones anatomiques, et pouvant inclure une ou plusieurs des fonctionnalités mentionnées précédemment
C. Retours d’expériences du déploiement de l’IA dans les établissements de santé
Dans le but d'acquérir un retour d’expérience crédible en ce qui concerne le déploiement de l'intelligence artificielle au sein des établissements de santé, un contact avec des industriels spécialistes de ce domaine a été établi grâce à la participation aux JFR (Journées Françaises de Radiologie). Plusieurs échanges avec des ingénieurs biomédicaux hospitaliers de différents établissements ont aussi permis d’obtenir des retours sur le sujet.
1. Industriels
- Déploiement des solutions d’Intrasense
Dans un premier temps, un échange a été réalisé avec la Chief Marketing Officer chez Intrasense. L’entreprise a développé la plateforme Myrian qui permet la visualisation avancée de tous types d’images DICOM (Digital Imaging and Communications in Medicine : protocole de communication et un format de fichier standard à l’imagerie médicale) (en 2D, en 3D ou en reconstruction multiplanaire) en radiologie ( cf.figure10). La solution est déployée dans plus de 1000 établissements de santé dans le monde.
La solution est assistée par une IA et peut intégrer des extensions pour 20 applications cliniques dont l’abdomen, les poumons, le cardiovasculaire, l’imagerie de la femme (sénologie et gynécologie) et le crâne. Elle fournit au médecin un compte rendu plus pertinent et plus précis, en aidant le radiologue et en lui faisant gagner du temps [42].
Figure 10 : Plateforme Myrian d’Intrasense [42]
La Chief Marketing Officer d’Intrasense témoigne que l’IA est déployée surtout au sein des services d'urgences, où l'imagerie des poumons, du sein et des fractures représente environ 30% de l'ensemble des examens. Elle souligne aussi que les 20 applications cliniques proposées sont largement utilisées dans ce contexte car elles proposent divers outils comme la segmentation, la résection ou encore la quantification [42].
- Déploiement des solutions d’Incepto
Une autre interaction constructive s'est déroulée avec le responsable du segment cardiovasculaire chez Incepto, une plateforme offrant aux radiologues l’accès à un ensemble d'applications d'aide à la décision en imagerie médicale basées sur l'IA.
Le responsable du segment cardiovasculaire chez Incepto a témoigné que ses équipes ont développé des outils permettant de regrouper des données et de les anonymiser. Ils collaborent aussi avec les professionnels de soins pour la création de nouvelles applications.
Selon lui, un radiologue voit défiler en moyenne 50 000 images chaque jour, ce qui représente une fatigue importante pouvant induire à des erreurs de diagnostic. Incepto propose alors des solutions pour différents services (oncologie, traumatologie, urgences, recherche) et réalise plusieurs partenariats notamment avec le CHU de Rennes, le Groupe Hospitalier Paris Saint-Joseph, le groupe AUGURIA, TéléDiag, etc [43].
Incepto propose donc sur leur plateforme 22 applications dont 20 déployées dans les établissements de santé et 2 qui sont en phase de recherche clinique [44] : Genesis qui permet à l’IA d’annoter les images d’examens et de les enregistrer sur un cloud certifié en Union européenne pour pouvoir les exploiter dans la recherche et Collective Minds, une plateforme de partage et d’échange destinés aux radiologues dans le but de collaborer afin d’établir des diagnostics pour les cas complexes ou des études [45] [46].
A titre d’exemple de solution d’IA déployée et commercialisée par Incepto, BoneView de Gleamer est un logiciel assisté par une IA utilisant le deep learning[47]. Ce logiciel permet de détecter et de localiser des fractures ou des lésions osseuses à partir de radiographie (cf. figure 11). Le logiciel sélectionne des zones douteuses sur les images, les classifie et les trie en trois catégories : “présence, doute ou absence de lésions” [48]. En 2020, cette solution est déployée dans plus de 50 hôpitaux et cliniques en France dont l’AP-HP et est utilisée par 800 radiologues [49]. (cf. Annexe 1 : en jaune les solutions proposées par Incepto).
Figure 11 : illustration de la solution BoneView de Gleamer [50]
- Déploiement des solutions de Milvue
Ces solutions permettent de rassurer les radiologues et d’augmenter leur productivité particulièrement lorsqu’ils sont soumis à des contraintes de temps, notamment dans les services d’urgences où la solution SmartUrgences est déployée. Cette solution est proposée par la scale-up Milvue qui permet d'améliorer le triage et le diagnostic des radiographies osseuses et pulmonaires ainsi que la génération des comptes-rendus automatisés et détaillées des fractures grâce à des algorithmes de Deep learning (cf. figure 12). D'après leur dernière étude, l’utilisation de la solution permet d’éviter les erreurs de diagnostics à 86% [51]. Ses fonctionnalités sont devenues essentielles et sont fortement appréciées par les radiologues, comme l'a souligné le co-fondateur de Milvue, d’où la présence de la solution dans 70 établissements de santé seulement quelques années après sa mise sur le marché.
Figure 12 : Solution SmartUrgences de Milvue [52]
2. Ingénieurs biomédicaux et ingénieurs développement
En ce qui concerne le retour d’expériences des ingénieurs biomédicaux, ils sont beaucoup plus optimistes quant à l’utilisation de l’IA au sein de leurs services.
- Cas de création de solutions d’IA en interne
On prend l’exemple du CH de Compiègne qui bénéficie depuis plus de 5 ans d’une équipe de développement logiciel qui répond efficacement à diverses exigences. Cette équipe se consacre à l'optimisation des processus, à la création de solutions fonctionnelles sur mesure pour améliorer la saisie du personnel médical ou administratif en automatisant la rédaction de compte rendu médicaux ou encore la saisie des informations dans le dossier patient.. Selon l'ingénieur développement au CH de Compiègne, les solutions de l’IA utilisées sont développées en interne ou en externe avec des partenariats privés, pour améliorer certains flux de travail de saisie fastidieux pour les médecins. De plus, son équipe s'engage dans l'exploration des données en établissant des entrepôts de données et en mettant à disposition des tableaux de bord pour toutes les activités.
- Cas d’acquisition des solutions intégrant de l’IA
Dans le même contexte, l'ingénieur biomédical au CH de Saint-Brieuc et le chef de projet biomédical au CH de Compiègne, témoignent du déploiement de l’IA dans les logiciels d’interprétation d’imagerie médicale, de supervision et d’analyse des résultats. Le rôle principal de l’IA est de réaliser un tri rapide des images et de leurs interprétations permettant aux praticiens de se concentrer sur les résultats signalés par l’IA en raison de doutes. Cependant, un contrôle humain demeure toujours présent pour valider ces indications.
Par ailleurs, l’ingénieur biomédical de Saint-Brieuc a aussi précisé que l’IA s'intègre de plus en plus aux dispositifs médicaux, tels que les respirateurs et les générateurs de dialyse, offrant ainsi des conseils et des orientations aux utilisateurs quant aux réglages optimaux de ces appareils.
Celui-ci a aussi précisé que l’IA est retrouvée dans les logiciels de gestion de crise, utilisés face à des situations telles que des attaques informatiques ou des catastrophes locales avec un afflux massif de patients. De plus, son utilisation s'étend aux logiciels de formation, déclenchant des événements en fonction de situations spécifiques.
En considérant l'IA comme une évolution des algorithmes de calcul, sa présence se manifeste également dans des domaines variés. Elle est présente dans les logiciels de conduite des chariots de logistique, les systèmes de gestion des coursiers et des brancardiers, ainsi que dans les logiciels de surveillance informatique. Ces différentes applications témoignent de la diversité des domaines où l'intelligence artificielle joue un rôle croissant.
3. Retour d’expériences des médecins
D’après le témoignage d'un médecin au sein du service ORL et chirurgie cervico-faciale de l’Hôpital Foch de Paris sur la plateforme Mediquality, l’usage de solutions d’IA l’aide à réaliser une personnalisation de traitements pour chaque patient. Il a mentionné que l’IA lui permettait de réaliser une prise en charge plus humaine mais aussi optimale pour les patients atteints de pathologies graves. Aussi, ses patients sont satisfaits du fait qu’il utilise de l‘IA ce qui encourage encore plus son épanouissement [53]
- Retour des professionnels d’un CHU
D’après une étude intitulée : “L'intelligence artificielle à l’épreuve des savoirs tacites. Analyse des pratiques d’utilisation d’un outil d’aide à la détection en radiologie”, menée dans un CHU par Giulia Anichini et Bénédicte Geffroy, parue en 2021, l’IA a été le plus mentionnée comme destinée aux personnels des urgences pour alléger la charge de travail des radiologues. Le chef du service de la radiologie opine que l’usage de l’IA en radiographie est plus intéressant pour les professionnels qui sont fatigués, submergés par le travail et pour les jeunes radiologues pour consolider leurs compétences [11].
Contrairement à cette affirmation, selon les internes du CHU, l’IA ne couvre pas la totalité des anomalies retrouvées dans les radiographies du thorax. Une lésion peut être causée par diverses pathologies que l’IA n’intègre pas dans ses analyses, alors que le médecin peut obtenir des informations supplémentaires sur l’état du patient avec ses notes et son historique. Ainsi, l’IA peut fournir certaines interprétations donnant des résultats faux positifs. Les internes et les jeunes radiologues expriment leur crainte sur leur connaissances et leur compétences qui sont remises en cause par le logiciel. Ainsi, les internes en radiologie affirment réaliser leur interprétation avant de consulter les comptes rendus fournis par l’IA [11].
Selon un professeur cancérologue et chercheur spécialisé en Intelligence Artificielle à l’Université de Paris, dans un podcast sur Radio France, les IA sont utilisées dans les analyses d’images médicales. Comme exemple, il a détaillé l’IA employée en oncologie radiothérapie qui sert à cibler et de réaliser le contourage des tumeurs automatiquement en 3 minutes qui d’habitude lui prend plus de temps. Il a précisé qu’un contrôle humain doit être fait après le passage de l’IA. La vérification de l’IA est facile dans le cas d’interprétation d’images, mais pour les cas de prédictions du risque de développement de maladies ou de guérisons, il a stipulé qu’il est plus complexe de vérifier que les résultats donnés par la boîte noire sont véridiques et précis [54].
Après avoir vu les retours des professionnels de santé concernant le déploiement de l’IA, nous allons prochainement déterminer les freins et accélérateurs du déploiement des solutions d’IA dans les établissements de santé.
III. Freins et accélérateurs au déploiement de l’IA
A. Point de vue du grand public
Le 30 novembre 2023 a eu lieu la 9ème édition du HDI Day (Healthcare Data Institute Day). Cet évènement est une journée qui rassemble des experts, innovateurs, professionnels de santé ou encore industriels. Cette année en 2023, cet évènement s’est déroulé sur le thème de « l’IA en Santé : Miracle ou Mirage ? ». Une étude a été présentée à cet événement. Ce « Sondage OpinionWay pour Healthcare Data Institute » a été mené auprès du grand public en novembre 2023. On compte un échantillon de 1008 personnes français âgés de 18 ans et plus. L’objectif de ce sondage est d’avoir une vision de l’opinion publique.
Les résultats de cette étude révèlent une perception ambivalente quant à la contribution de l’intelligence artificielle dans le domaine de la santé, ce qui se manifeste par une certaine méfiance à l’égard de son utilisation à des fins personnelles.
Initialement, on constate une connaissance limitée de l'utilisation de l'IA dans le domaine de la santé. En effet, une majorité de 56% du public ne possède pas une compréhension explicite des bénéfices potentiels que l'IA peut apporter(cf. figure 13) [55].
Figure 13 : Résultat du sondage sur les bénéfices que l’IA peut apporter dans le secteur de la santé [55]
En ce qui concerne leur prise en charge médicale, 55% des Français expriment une défiance envers l'IA en santé. Cependant, malgré cette réserve, 44% estiment envisageable de recourir à une assistance médicale basée sur l'IA (cf. figure 14). Il devient impératif de dissiper ces appréhensions pour promouvoir le déploiement de l’IA dans les établissements de santé en France.
Figure 14 : Résultats des sondages concernant la confiance des français dans l’utilisation de l’IA pour la prise en charge en santé et le pourcentage de patients confirmant être soigné avec l’IA [55].
Dans cette perception de l’IA par le patient, il est primordial d’instaurer un climat de confiance, car elle reste aujourd’hui une source de doutes et d’interrogations. Une étudе a été mеnéе par MASCF (Mutuelle d’Assurance du Corps de Santé Français) avеc l'accompagnement dе IPSOS hеalthcarе, lеadеr еn étudеs dе santé mondialеmеnt, pour découvrir la vision dе l’intеlligеncе artificiеllе par lе grand public et leur relation avec lеs profеssionnеls dе santé. L'étudе a été mеnéе еn еnquêtant auprès dе dеux groupеs distincts : un échantillon dе 500 citoyеns français еt un échantillon dе 618 profеssionnеls dе la santé. La collеctе dеs réponsеs s'еst appuyéе sur lе principе du volontariat, avеc 1118 répondants contactés par courriеr élеctroniquе, еt dеux quеstionnairеs quantitatifs d'unе duréе dе 15 minutеs chacun [56]. L’un des résultats de cette étude nous a permis de relever certaines interrogations du public :
Lеs professionnels dе santé (34%) еt lеs patiеnts (47%) partagеnt unе inquiétudе communе quant à la détérioration possiblе dе la rеlation patiеnt/médеcin еn idеntifiant la déshumanisation еt la distanciation commе principalе raison dе cеttе préoccupation(cf.figure15).
Par aillеurs, lеs patiеnts idеntifiеnt la diminution du nombrе dе médеcins commе unе dеuxièmе possiblе causе dе dégradation dе la rеlation patiеnt/médеcin. En revanche, lеs profеssionnеls dе santé еxprimеnt davantagе dе préoccupations liéеs à la commеrcialisation dеs soins dе santé (12%) еt à unе évеntuеllе pеrtе dе confiancе dе la part des patiеnts.
Figure 15 : Résultats d’étude concernant la relation médecin-patient due à l’utilisation de l’IA [56]
Cette considération relative à la déshumanisation et à la dégradation des interactions humaines incite à se pencher sur la perspective éthique.
B. Ethique
L'évolution rapide de l'IA ouvre des perspectives prometteuses dans le domaine de la santé. Toutefois, cette avancée soulève des questions cruciales liées à l'éthique et à la gouvernance. Les utilisateurs doivent être assurés que leurs droits et intérêts ne seront pas négligés au profit des intérêts commerciaux puissants des entreprises technologiques, ni sous l'influence des préoccupations des pouvoirs publics en matière de surveillance et de contrôle social. Il a également différents points soulevés sur l’éthique de l’IA en santé qui relatent de l’impact sur la relation soignant-patient, la robotisation des tâches humaines, ou encore la fiabilité de ces nouvelles technologies.
L’Organisation Mondiale de la Santé a publié un communiqué de presse le 28 juin 2021 annonçant “le premier rapport mondial sur l’IA appliquée à la santé” (intitulé en anglais : Ethics and governance of artificial intelligence for health). Il propose six principes directeurs visant à encadrer la conception et l’utilisation de cette technologie. Ces principes ont pour objectif de guider les acteurs de la santé dans le déploiement de l’IA en matière d’éthique, sécurité et bénéfices pour les patients :
- Protéger l’autonomie de l’être humain : Lors de la prise en charge des patients, il est primordial de conserver le contrôle sur les systèmes de soins et les choix médicaux. De ce fait, la protection de la vie privée des patients et la confidentialité est essentielle. Un consentement éclairé permet ainsi de garantir une compréhension totale de l’utilisation de leurs données par le logiciel d’IA.
- Promouvoir le bien-être et la sécurité des personnes ainsi que l’intérêt public : Les industriels et les créateurs de technologies d’IA doivent se conformer aux normes et aux obligations réglementaires en termes de sécurité, de précision ou encore d’efficacité. Des contrôles de la qualité sont ainsi mis en place pour maintenir et garantir cette qualité de pratique de l’utilisation de l’IA.
- Garantir la transparence, la clarté et l’intelligibilité : La transparence requiert la publication ou la documentation préalable de suffisamment d'informations avant la création ou le déploiement d'une technologie d'IA. Ces données doivent être aisément accessibles et compréhensibles pour les professionnels de santé.
- Encourager la responsabilité et l’obligation de rendre des comptes : Il faut garantir la formation du personnel et des utilisateurs des solutions d’IA, car même en accomplissant des tâches spécifiques, les parties prenantes doivent veiller à sa bonne utilisation. Des mécanismes efficaces doivent être établis pour permettre de contester et/ou corriger les choix.
- Garantir l’inclusion et l’équité : Les technologies doivent être conçues de manière à promouvoir un accès équitable, indépendamment de caractéristiques telles que l’âge, le genre, l’origine ethnique, le sexe … ou d’autres critères protégés par les droits humains.
- Promouvoir une IA réactive et durable : Cela implique une évaluation continue des applications en situation réelle pour assurer une réponse adéquate aux attentes. Les systèmes d'IA doivent minimiser leur impact environnemental, accroître l'efficacité énergétique et anticiper les changements dans le travail, y compris la formation des professionnels de la santé et les pertes d'emploi liées à l'automatisation.
Ces principes vont permettre d’orienter les futurs initiatives de l'OMS afin de maximiser le potentiel de l’IA en matière de soins, de santé publique et de bénéfices pour tous [57].
Afin de garantir l’éthique dans le domaine de l’IA, le 31 mai 2023, la Délégation ministérielle au Numérique en Santé (DNS) a émis des recommandations de bonnes pratiques visant à intégrer l'éthique dès le développement des solutions d'Intelligence Artificielle en Santé. Cette démarche a été concrétisée par un guide méthodologique, intitulé “Ethique by design”. Il a été orchestré sur une période de deux ans par Brigitte Seroussi, responsable de la cellule éthique du numérique en santé et David Gruson, fondateur d’ETHIK-IA, chercheur et professionnel dans le domaine de la santé et de l'intelligence artificielle. Ils ont piloté un groupe d'experts dans lequel le Health Data Hub* a activement participé [58].
“Créé en 2019 par la loi relative à l’organisation et la transformation du système de santé, le Health Data Hub est un groupement d’intérêt public qui vise à garantir un accès aisé et unifié, transparent et sécurisé, aux données de santé afin d’améliorer la qualité des soins et l’accompagnement des patients.”
Le respect des valeurs éthiques fondamentales demeure essentiel pour instaurer la confiance et garantir des bénéfices positifs tout en préservant les droits individuels.
En plus de ces recommandations éthiques et ces bonnes pratiques, les industriels doivent faire face à des défis lors du déploiement de leurs solutions d’IA dans les établissements de santé.
C. Difficultés éprouvées par les industriels pour déployer leurs dispositifs d'IA en imagerie
Au fil des discussions avec les industriels aux JFR, quelques difficultés communes éprouvées par les entreprises développant des solutions, qui intègrent l’IA pour l'analyse d’imagerie médicale, ont été identifiées.
1. Compatibilité de matériels
L’un des premiers freins est la difficulté d’intégrer ces solutions d’IA au flux de travail actuel des professionnels de santé. En effet, selon le Chief Marketing Officer chez INTRASENSE, le logiciel proposé n'est pas complètement intégré au flux de travail des radiologues, ce qui est souvent attribuable à l'inadéquation du matériel comme l’incompatibilité du système d’exploitation des ordinateurs utilisés à l’hôpital. Cela décourage ainsi les professionnels de santé à l'adopter, car cela pourrait entraîner une perte de temps.
2. Transparence et sécurité des données
Comme le relève la partie éthique, le professionnel de MILVUE, a souligné également une déshumanisation de la relation entre les médecins et les patients qui s’inquiètent de la transparence et la sécurité des données médicales collectées et analysées. Cette réflexion met en évidence les défis auxquels sont confrontées les avancées technologiques en santé, notamment en ce qui concerne l'équilibre délicat entre l'efficacité des solutions d'intelligence artificielle et le maintien de l'aspect humain dans les soins médicaux. Or si une technologie n’est pas acceptée par les patients, elle aura beaucoup de mal à être pérenne dans un établissement de santé.
3. Réglementation
Le responsable du segment cardiovasculaire chez Incepto a souligné la croissance importante des contraintes réglementaires, mettant en lumière un frein majeur qui est la conformité nécessaire à la réglementation européenne 2017/745 et la future réglementation “IA Act”.
En effet, avec l’entrée en vigueur de “l’IA Act” au début de l’année prochaine, les fabricants des logiciels dispositifs médicaux intégrant l’IA seront confronter à la nécessité de répondre :
- A la fois à la législation sectorielle (règlements des DM et DMDIV) et à l’IA Act [29]
- Aux normes harmonisées en développement par le comité européen de normalisation notamment l’ISO 42001 (IA-système de management de la qualité) [60] et l’ISO 23894 (IA-Recommandations relatives au management du risque) [61] pour démontrer la conformité de leurs solutions.
Cette démarche impose aux industriels de consacrer davantage de temps et de ressources financières, matérielles et humaines, ce qui entraîne un ralentissement du développement et de la mise sur le marché de solutions d’IA. Par conséquent, cela retarde également le déploiement de ces solutions au sein des établissements de santé.
4. Aspect financier
Enfin, l’enjeu majeur évoqué par tous ces acteurs concerne l’aspect financier. En effet, les solutions d’IA dans le domaine de l'analyse d’imagerie médicale n’étant pas remboursées par la CNAM (Caisse Nationale d’Assurance Maladie), les établissements de santé se questionnent quant au retour sur investissement de l’achat de telles technologies. La difficulté d’intégrer des indicateurs de performance dans leur flux de travail constitue également un frein à l’évaluation de ce retour sur investissement.
D. Difficultés des établissements de santé pour déployer des solutions d’IA en imagerie
Malgré le fait que les applications d’IA en imagerie se développent et se généralisent, ses solutions connaissent quelques difficultés de déploiement dans les établissements de santé.
1. Coût d’investissement
Concernant le coût d’investissement et d’acquisition des solutions, les ingénieurs biomédicaux avec qui nous avons échangé ont confirmé les dires des professionnels de santé rencontrés aux JFR.
D’après l’ingénieur en développement du CH de Compiègne, le coût d’investissement pour la création des modèles prédictifs est élevé. Ce coût comprend le temps d’installation, l’aspect financier, l’infrastructure et le personnel, ce qui n'est pas à la portée de tous les établissements de santé.
Cela s'applique également à l'acquisition des solutions d'IA, qui sont le plus souvent intégrées dans des équipements ou des packs logiciels dont les prix restent assez élevés incluant le coût d'acquisition et le coût de formation des utilisateurs.
2. Fracture numérique
Selon le titulaire de la Chaire de management des technologies de santé de l'EHESP dans le magazine "Architecture Hospitalière", un des freins de l’implémentation de l’IA dans certains établissements de santé réside dans la fracture numérique, c’est-à-dire les inégalités des accès aux technologies de l’IA. Les grands groupes privés ou publics ont plus d’avantages grâce aux nombres de données importantes dont ils ont en leurs possessions [62]. Cette affirmation est confirmée par l’ingénieur développement du CH de Compiègne qui nous a indiqué que l’acquisition des données de qualité prend beaucoup de temps ce qui freine le déploiement des solutions d’IA surtout pour les établissements qui collaborent avec des start-ups pour produire ses solutions.
3. Réticence des professionnels de santé
Le déploiement d’une solution d’IA en imagerie se complique aussi due à la diversité des acteurs qui entrent en jeu dans son utilisation dans les établissements de santé : les radiologues, les manipulateurs en radiologie, les équipes médicales ou encore les administrateurs des systèmes d’informations [63].
Selon le chef de projet biomédical et l’ingénieur développement du CH de Compiègne, le manque de coopération provenant des acteurs, peut être des freins dans l’acquisition et l’emploi des solutions d’IA. Certains intervenants ne sont pas familiers avec la technologie ou n’ont pas confiance en elle, ce qui engendre des avis différents qui compliquent la prise de décision des ingénieurs biomédicaux et de la direction dans l’acquisition de la solution.
Le sentiment d’infériorité ressenti par les professionnels de santé engendré par la présence de l’IA et la peur de la “boîte noire” non-maîtrisée développent aussi la réticence de son exploitation. L’ingénieur biomédical du CH de Saint-Brieuc a précisé que les professionnels de santé sont assez sceptiques pour faire confiance à un programme sur lequel ils ne réalisent aucune action en amont et ensuite donner un diagnostic et réaliser une intervention en aval avec les résultats donnés.
E. Implication du gouvernement français dans le déploiement de l’IA dans les établissements de santé
Malgré les défis mentionnés précédemment, des avancées encourageantes se manifestent :
1. Plans et stratégies nationales
Le gouvernement français a clairement exprimé son encouragement en faveur de l'intégration de l'IA dans le secteur de la santé, amorçant ce processus par le soutien financier à la recherche et au développement de solutions liées à l'IA. Cette démarche se matérialise à travers des initiatives telle que la “Stratégie d'Accélération Santé Numérique (SASN)” lancée dans le cadre du plan ”innovation santé 2030”. Cette dernière vise à orienter la médecine d’une médecine curative vers une médecine 5P : personnalisée, préventive, prédictive, participative et basée sur des preuves. Dotée d'un budget de 650 millions d'euros, la SASN alloue 63 millions d'euros à la création des tiers lieux d’expérimentation et 20 millions d’euros à des projets évaluant les avantages médicaux et économiques des dispositifs médicaux numériques ou basés sur l'IA [64].
D'autres stratégies nationales, comme la feuille de route du numérique en santé et le Ségur numérique, ont été initiées avec un financement global de 2 milliards d'euros. Parmi ces fonds, 250 millions d'euros sont spécifiquement dédiés au développement des projets innovants, y compris ceux liés à l'intelligence artificielle et à la cybersécurité [65].
Ces investissements ont pour but de booster le domaine industriel de l’IA en santé, et pourraient donc être un accélérateur de l'implémentation de ces solutions dans les établissements de santé en France.
2. Aides, Appels à projets
Dans le même cadre, divers appels à projets ont été lancés comme "L'IA pour une expérience améliorée du système de santé", initié en juillet 2020 en partenariat avec Health Data Hub, Bpifrance et Le Grand Défi. Dix projets, focalisés sur des pathologies complexes de la santé publique, ont été sélectionnés pour recevoir un soutien financier du Grand Défi géré par Bpifrance, ainsi qu'un accompagnement dédié du Health Data Hub.
Parmi ces projets, on cite APRIORICS, visant à améliorer le diagnostic du cancer du sein grâce à une analyse d'image automatisée, et TAMIS, qui cherche à caractériser plus précisément les différentes cellules sanguines pour améliorer le diagnostic des patients. Ces projets sont guidés par des partenariats intra-équipes, entre structures hospitalières, universités ou start-ups [66].
À l'échelle régionale, des initiatives directes en soutien au déploiement ont également été observées. En effet, l'Agence Régionale de Santé(ARS) en Île-de-France a initié un appel à projets visant à appuyer l'achat d'outils numériques d'aide au diagnostic en imagerie par les établissements de santé publics ou privés disposant d’un service d'accueil des urgences et ayant accès sur site 7/7J et 24/24H à un plateau d'imagerie [67].
Conclusion
L’intelligence artificielle occupe aujourd’hui une place de plus en plus importante dans le domaine de la santé, transformant ainsi la manière dont les établissements de santé aborde les diagnostics, la prise en charge des patients ou encore la gestion des données médicales. Il est tout de même important de noter qu’en France, nous sommes encore dans une phase de recherche et d'exploration de tout le potentiel que l’IA peut apporter à la médecine et aux soins. La vision actuelle des solutions d’IA en santé montre une variété des acteurs, qu’ils soient issus du secteur public, privé ou de jeunes start-up innovantes. Cette diversité reflète l’ampleur des enjeux et des opportunités qui enveloppent ce secteur. Les solutions d’IA sont en croissance et leurs déploiements au sein des établissements de santé s'expliquent par leur pertinence dans la résolution de nombreux problèmes dans le domaine de la santé.
Dans le cadre de ce projet IDCB, les défis concernant le déploiement de l’IA en établissement de santé et les solutions possibles concernant leur utilisation ont été identifiés en rencontrant des professionnels du métier. D’après les enquêtes menées, les solutions d’IA en imagerie utilisées en diagnostic sont les plus présentes dans les établissements de santé. Ces dernières possèdent plusieurs fonctionnalités permettant aux professionnels de santé, notamment les radiologues de classifier, de réaliser des segmentations ou encore faire des contourages des zones importantes.
Malgré les avantages que l’utilisation de l’IA offre, plusieurs freins subsistent concernant son déploiement dans les établissements de santé comme son coût d'investissement, la perception de l’IA par le grand public ou encore la fracture numérique entre les établissements publics et privés concernant l'acquisition des données. Le côté éthique dans l’usage de l’IA et la réglementation avec l’IA Act qui va entrer en vigueur constituent aussi une réserve du côté du fabricant.
Le déploiement de l’IA dans les établissements de santé reste quand même prometteur avec les stratégies nationales et les appels à projet qui soutiennent à la fois conception et développement des technologies d'IA ainsi que l'achat et le déploiement direct de ces solutions dans les établissements de santé.
Les perspectives pour le déploiement de l’IA dans les établissements de santé sont d'informer tous les acteurs sur les solutions d’IA existantes, d'accompagner les fournisseurs pour la mise sur le marché de leur solution et d'accompagner les établissements pour développer ou acquérir des solutions d’IA dans les établissements de santé.
Annexe
ANNEXE 1 : Base de données IA en santé (ANAP et Incepto)